Le Ravissement de Proserpine par Pluton (Alexandre HARDY)

Tragi-comédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en 1611.

 

Personnages

 

CUPIDON

PLUTON

TISIPHONE

LACHÈSE

MERCURE

CÉRÈS

PROSERPINE

JUPITER

VÉNUS

PALLAS

DIANE

L’OMBRE DE PROSERPINE

ÉLECTRE

ACHELOIS

NÉRÉE

PAN

PREMIER PAYSAN

DEUXIÈME PAYSAN

ARÉTHUSE

THÉMIS

MOME

ASCALAPE

 

 

ARGUMENT

 

Pluton par l’entremise de Mercure, obtient de Jupiter Proserpine à femme, mais à condition de ravir en personne à vive force, cette jeune Déesse, que la mère tenait cachée dans certain lieu de plaisance de la Sicile, comme se défiant d’un malheur inévitable : Vénus contribue sa peine au ravissement de la Vierge, qu’elle attire dans l’embuscade de cet Amant infernal. Cérès éclaircie sur la vérité du fait, en forme sa plainte devant Jupiter, et la Cour Céleste, qui cite Pluton à comparoir personnellement, et après un plaidoyer de part et d’autre, ordonne pour Arrêt définitif ; que Proserpine ferait chaque année deux semestres, l’un chez son époux, et l’autre chez sa mère. Claudian premier inventeur du sujet, n’y avait rien omis que le coturne qu’il emprunte chez nous, et que le Lecteur sans passion, n’oserait nier qu’il ne méritât bien.

 

 

PRÉFACE

 

Afin que la nouveauté ne séduise ceux qui ne sont pas autrement bien versez aux secrets des Muses ; Je leur dirais mon sentiment pour ce qui regarde le Poème Bocager, appelé vulgairement, Pastorale, et non Pastourelle, qui serait, (n’en déplaise à ces Critiques de Cour) pécher en Grammaire, d’autant que Pastorale signifie ce qui appartient aux Pasteurs : et Pastourelle, la femelle de ce bon vieux mot Français, Pastoureau. L’invention donc de ce Poème est due à la galantise Italienne, qui nous en donna le premier modèle ; ses principaux ; et plus célèbres Auteurs sont Tasse, Guarini, et autres sublimes esprits, qui ont choisi les vers de dix à onze, conformes aux Scazontes des Latins, pour mieux exprimer telles innocentes Amours, et accommoder le langage à la chose. Ce sont les Docteurs du pays Latin, sous lesquels j’ai pris mes licences, et que j’estime plus que tous les rimeurs d’aujourd’hui : croire au surplus quelque grand miracle d’écrire une Pastorale en vers Alexandrins, nullement, attendu que leur longueur développe mieux les conceptions d’un Poète, et a plus de facilité. Quant à celle-ci que j’expose la dernière en public, elle ne mérite non plus d’être tenue au dessous, qu’au dessus de la perfection, et oserai dire en sa faveur, plutôt comme arbitre équitable, que comme père idolâtre : qu’au moins elle n’a mendié son invention de personne, qu’on ne la remarquera point pour prose rimée, où rime prosée, que quinze jours de passe-temps me l’ont mise sur pieds, il y a plus de douze ans sans que la moindre douleur ait précédé son enfantement, sans croire qu’une si courte navigation puisse faire voguer mon esquif, que bord à bord : il ne s’y trouvera non plus de rimes licencieuses, que de ces douceurs répétées qui tournent en amertume ; non que je n’admire le bel esprit de ceux qui s’en donnent le privilège, mais chacun vaut son prix ; et la louange que nous nous usurpons au préjudice des autres, passe comme monnaie décriée en public. Cela ne m’adviendra jamais, qui prie seulement le Lecteur judicieux, et sans passion, de peser mes raisons en la balance de l’équité, pour adjuger la Couronne des Muses, à qui elle appartiendra.

 

 

ÉPIGRAME À MONSIEUR HARDY

 

Grand ornement de nôtre France,
Digne sujet de tant d’autels,
Qui fais paraître l’éloquence
Sur le Théâtre des mortels ;
Bien que ta forme soit humaine,
Se voit-il une âme si vaine
Qui veuille s’égaler à toi ?
Non, non, merveille sans seconde,
Apollon doit donner la Loi
À tous les plus doctes du monde.

 

CIVART.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

CUPIDON

 

Ravi d’aise je viens publier ma victoire

Sur l’avare Tyran de la cohorte noire,

Sur ce fils de Saturne, à qui l’unique sort

Fit en partage échoir le sceptre de la mort,

Sur l’ennemi commun de la mère nature,

Que l’Olympe croyait exempt de ma torture,

Invincible, émousser le tranchant de mes dards

Redoutés de Jupin, de Neptune, et de Mars.

Vous suffise mortels que Cupidon retourne

Du manoir où l’horreur éternelle séjourne,

Qu’induit par un reproche ordinaire des Dieux,

Il a franchi l’obscur de ce Règne odieux,

Prosterné de frayeur l’implacable Cerbère,

Mis en fuite Alecton, Tysiphone, et Mégère,

Les trois Juges transis dès le premier aspect ;

Leur siège abandonnant d’honneur et de respect ;

Combien de légions d’âmes épouvantées,

Que ma blessure avait au monde tourmentées,

Tâchaient de se trouver un Barathre nouveau,

Douteuses des desseins que j’avais au cerveau ?

Ou celles qui jadis de moi favorisées,

Vivent heureusement aux plaines Élysées,

Que la Parque ne pût sévère désunir,

Chacune se voulant au devoir prévenir,

Qui croirait d’une voix l’allégresse épandue ?

Qui croirait une grâce à la foule rendue ?

Pluton dans son Palais de ce bruit alarmé,

À l’instant devers moi s’avance tout armé.

Qui louche de fureur plutôt qu’il ne m’avise

Reçoit l’un de mes traits en la poitrine éprise,

Un de ceux qu’affinés je trempe au désespoir,

Un de ceux-là qui font la rage concevoir,

Éclater en soupirs une âme désolée,

Puis vainqueur ici haut je reprends ma volée,

Trompette du plus beau de mes braves exploits ;

Car si ce los d’autrui attendre je voulais,

L’envie n’a laissé aux Cieux ni dans la terre

Aucun qui dessous main ne me livre la guerre,

Mes bienfaits oubliés s’écoulent au plaisir :

Où la moindre rigueur se remarque à loisir :

Jupiter n’a pour moi qu’injustice cruelle,

Vers un enfant sa haine accroît perpétuelle,

Encore qu’à mon aide il cueille tous les jours

Au dessus de Junon les fruits de ses amours :

Mais que dorénavant l’une et l’autre Machine

Liguée avec un tiers conspire ma ruine,

Cela n’empêchera ma main d’avoir dompté

Tout ce qui me tombait dedans la volonté,

Tout ce qui me semblait user de résistance :

Or je crains, tardant trop, que ma mère me tance,

Je lui vais de ce pas la victoire annoncer,

Après je m’irais seul ès cavernes musser,

Des Champs Ténaréens, afin que là je voie

Notre nouvel amant se ruer sur la proie

Ainsi que le Lyon qui s’élance affamé

Dessus le col puissant d’un cerf au front ramé ;

Ainsi que le Lanier volant à fleur de terre,

Attrape la perdrix, ou le lièvre qui erre.

Or j’aperçois déjà ce félon ravisseur

Emporter une Nymphe en l’aveugle noirceur,

Nymphe qu’il trouvera penchée au sein de Flore,

De surplus le destin ne le révèle encore :

J’attendrai de pied coi qu’il arrive en son temps

Mis d’embuscade au lieu commode au passetemps.

 

 

Scène II

 

PLUTON, TISIPHONE, LACHÈSE, MERCURE, PLUTON

 

PLUTON.

Sous quelle inique loi souffrirais-je timide,

Qu’un frère dans le trône Olympique préside ?

Qu’il possède orgueilleux des Palais étoilés,

Que souverain depuis tant de siècles roulés

Tout l’Univers frémisse à sa voix colérée,

Que son los plus puissant que des deux fils de Rhée,

L’un content de brider le liquide Élément,

Et moi de commander aux ombres seulement,

Et moi qui tiens un règne où n’entre la lumière,

Être encore forclos de la torche nopcière ?

Ne respirer non plus les douceurs de l’amour,

 Que je fais la clarté désirable du jour ?

Ô outrage ! ô affront ! ô tort irréprochable !

Seul ainsi de tout point je serai misérable,

Seul ainsi je serai tenu comme bâtard,

D’un si grand héritage ayant si peu de part ;

Lui se baigne à souhait, jusques au col se plonge

Au fleuve de plaisir, et je n’en ai qu’un songe ;

Épris de sa germaine, admirable en beauté,

Laisse-il de courir après la nouveauté !

Laisse-il de chercher dans les couches mortelles

Des pointes d’appétit, avec mille cautèles ?

Ô crève-cœur ! ô honte, ô lâche que je suis !

Sus ! qu’un courroux vengeur donne tréfue aux ennuis,

Quiconque m’aimera, quiconque favorise

Ma querelle équitable, et ma haute entreprise :

Quiconque s’animant de gloire à mon secours

Veut qu’un Laurier son chef environne toujours,

Rangé sous mon enseigne à ce besoin paroisse,

Que fidèle touché du fiel de mon angoisse,

Son courage à présent témoigné par la voix,

Il fasse de soldats un convenable choix.

TISIPHONE.

L’office nous est du, sans que tu te travailles,

À mes Sœurs, et à moi d’amasser tes batailles,

Laisse-nous, laisse-nous, Monarque glorieux,

Dresser un appareil requis contre les Cieux,

Laisse-nous composer ta vengeresse armée

D’un monde de guerriers bouillants de renommée,

Ton Empire ne peut désormais les tenir,

Du révolte serait à craindre à l’avenir,

Gagnés d’oisiveté, peste aussi dangereuse,

Que la guerre promet son entreprise heureuse :

Veux-tu qu’en un clin d’œil je te fasse ici voir

Quelles forces tu peux en tes sujets avoir ?

Combien de millions d’âmes à qui la vie

Ez orages de Mars fut bravement ravie ?

Combien de millions de Chefs que Jupiter

De crainte t’envoya, qu’ils l’allassent dompter,

J’omets les Terriens, les enfants de la nue,

Les Lapithes de qui la vaillance connue,

Capable suffirait de te venger soudain,

Le Sceptre paternel te remettre en la main,

Eux en viendront à bout, chose plus que certaine ;

Mais au cas qu’il te plût servir de Capitaine,

Influer la victoire aux tiens de ton aspect,

Et conjoindre l’ardeur de bien faire au respect,

Imagine qu’alors tes Germains volontaires

Offriront à l’envi leurs Sceptres tributaires,

Qu’une triple Tiare honorera ton front,

Reste de te résoudre aventureux et prompt.

PLUTON.

Tes robustes raisons redoublent mon courage ;

Va souffler dans leur sang les meurtres et la rage,

Va m’enrôler tous ceux, que tu m’as remarqués

Ne démordre jamais du combat attaqués,

Que Bellonne a nourri de sang par les alarmes,

Qui n’aiment que le feu, la discorde, les armes.

Va, dépêche, il me plaît, je le veux, je l’ai dit,

Rien ne révoquera dorénavant l’Édit.

LACHÈSE.

Ha ! suprême Recteur des ombres sépulcrales,

Pour qui nous dévidons les quenouilles fatales,

Roi des profondes nuits, qui prestes aux vivants

De quoi se réparer pour les âges suivants,

Amateur de la paix, du repos, du silence,

Réprime les fureurs de cette violence,

Ne crois la passion flatteuse qui te ment,

Qui te veut éblouir les yeux du jugement,

Infractaire ne romps l’alliance gardée

Sur le fantasque objet d’une amoureuse idée :

Oncques guerre entreprise indiscrète et à tort

Ne donne à ses auteurs l’assistance du sort.

Demande à Jupiter au nom de l’hyménée

Une femme, aussi tôt je la pleige donnée,

L’amiable douceur doit première marcher,

Refusé tu aurais lors de quoi te fâcher.

PLUTON.

Comme un vent orageux qui tourmentait les plaines,

Dessous un peu de pluie apaise ses haleines,

Tombe à coup abattu : ni plus ni moins je sens

Ta sage opinion de ses charmes puissants

Amortir le flambeau de ma rancune éprise,

J’approuve cet avis que la foi m’autorise,

Mandez vite Mercure, afin que député,

Le crime d’agresseur ne me soit imputé,

Qu’on voie que de gré nos pacts je ne viole,

Qu’il porte Ambassadeur au Tonnant ma parole.

Ha ! le voici déjà : facond neveu d’Atlas,

Qui pitoyable sers aux mourants de soulas,

Interprète des Dieux, dont la bonne fortune

Rend au Ciel et ça bas la Déité commune,

Fend le vent, fend les airs, et loyal messager

Oi l’affaire duquel je t’ai voulu charger,

Rapportant ces propos au Maître du tonnerre :

Ton Germain relégué aux gouffres de la terre,

Demande à quel sujet tu prétends de vouloir

D’un bonheur absolu sur lui te prévaloir,

L’estimer comparé moins que le plus infime,

Moins qu’issu de Saturne enfant illégitime,

Jusques à le priver d’une épouse moitié,

Lui envier les fruits d’une chaste amitié,

Contre la paction qu’il jura solennelle

Quand l’orgueilleux obtint la place paternelle ;

Sache si son audace un fondement a pris

Sur ce qu’il ne me croit régir que des esprits

Dépouillez de vigueur, de courage et de force,

En la division de leur pesante écorce :

Si logé dans l’azur des Palais Ethérés,

Que ceint un Zodiaque, et ses Astres dorés,

Que Phœbus chaque jour honore de sa ronde,

Qui fait un marchepied de la machine ronde,

Si confit dans le miel des moles voluptés,

Ravisseur coutumier des plus rares beautés,

Outre le lit jugal de sa propre Germaine,

Tantôt glisse fuitif au sein de la Thébaine,

(Ta mère je ne veux du nombre diffamer)

Maintenant chez Thétis qui domine la mer,

Chez la blonde Cérès, des humains nourricière,

D’enfants au demeurant la douce pépinière,

A couronné ses vœux, et pour le dire bien,

En l’Empire des morts je ne possède rien,

Et mon Trône abîmé dans la nuit des ténèbres,

Je n’aurai de plaisir que les plaintes funèbres

Des Mânes qui chez moi se purgent des forfaits,

Comme égouts de misère, en l’autre monde faits :

Et parmi ces travaux de nature infinie,

Encore il m’ôtera l’amoureuse harmonie

De deux corps animés d’un’ âme et d’un désir ?

Il me tiendra forclos de l’unique plaisir ?

Va, dis-lui que si tôt l’offense on ne répare,

Une guerre et aux siens mortelle je déclare ;

Dis-lui, si le passé n’amende son erreur,

Ma longue patience attirée en fureur,

Que la nuit du Chaos derechef épandue,

À Saturne, aux Titans la liberté rendue,

J’armerai l’Achéron, les Parques et la Mort,

Plutôt que de souffrir davantage ce tort.

MERCURE.

Souverain de l’Érèbe, à ce courroux extrême,

Il me semble, confus, que tu n’es plus toi-même,

Que Pluton, vrai miroir d’un Prince modéré,

Immuable de soi, l’être considéré

Change de qualité, s’altère de nature,

Sans sujet exposant sa gloire à l’aventure,

Certain que l’équité de ta pétition

S’adresse à Jupiter, et sans intention,

Doutes-tu qu’il retint, et sa promesse enfreigne ?

Ains que de l’accomplir Thémis ne le contraigne,

Nullement, nullement, en ce cas je promets

Ta querelle épouser contre lui désormais,

Tirer de ton parti la cohorte Céleste ;

Que ce soin superflu doncques ne te moleste.

PLUTON.

L’attente infructueuse, et la pointe plus vive

D’un sentiment d’amour impourvu qui m’arrive,

Forcent ma volonté de se montrer au jour,

Dépêche, mes desseins préviennent ton retour.

MERCURE.

Neutre je traiterai de bon cœur l’ambassade,

Au-moins, s’il m’est permis de m’usurper ce grade,

Voire de mon devoir je m’ose tant fier

Que soudain ce discord je vais pacifier.

 

 

Scène III

 

CÉRÈS, PROSERPINE

 

CÉRÈS.

Écoute mon espoir, la raison qui t’amène

Habiter en secret une terre lointaine,

Qui rechange aux splendeurs de ta Céleste Cour

L’horreur accompagnant un champêtre séjour :

L’origine mon œil véritable procède

D’un mal qui surprendrait ton honneur sans remède,

Ores que ta jeunesse a sa plus belle fleur,

Hélas ! je redoutais trop un coup de malheur,

Trop l’impudicité qui l’Olympe macule,

Qui va rendre aux mortels notre droit ridicule.

L’exemple de son chef tout le corps a gâté,

Et n’eussé-je donc pas ta recousse hâté ?

Eussé-je vu l’aguet de leur troupe infidèle

Vers ma tendre brebis, et ne veiller pour elle ?

Sous le voile d’Hymen, sous ce prétexte beau

Chacun me présentait un hommage nouveau,

S’efforçait de gagner en la mienne ta grâce :

Mais ainsi le poisson s’attire dans la nasse,

Ainsi vient le serpent tapi dessous les fleurs,

Imprimer au rustic ses mortelles douleurs :

L’assaut continuel à la parfin emporte,

Et demeure vainqueur de la place plus forte.

Moi absente il fallait te perdre, ou t’emmener,

Absente, car je vais les honneurs moissonner,

Que cent peuples me font en humbles sacrifices,

Records de ma puissance, et de mes bénéfices :

Demeure donc tranquille au séjour que tu vois,

Du ministère usant des Nymphes de ces bois,

Donne à ta chasteté, donne à ta gloire encore

La demeure d’un lieu tel que Diane adore,

Mon retour sera bref, je reverrai tes yeux

Premier que trois Soleils chassent l’ombre des Cieux.

PROSERPINE.

Ô de qui j’ai reçu la vitale lumière,

Déité de clémence envers tous singulière,

Combien vous dois-je plus de l’honneur garanti ?

Combien plus de faveurs ai-je là ressenti,

Qu’a trainer immortelle une immortelle honte,

Esclave du vainqueur ocieux que je dompte,

Par votre prévoyance, ains votre piété,

Mon asile fatal, mon port de sureté !

Commandez que j’habite une roche déserte,

Au giron de Thetis, de tempêtes couverte,

Qu’un antre fréquenté des Serpents et des Ours,

Voie, s’il peut, la fin de mes pudiques jours,

Dévote j’y courrai de pareille allégresse

Que le vainqueur après sa Palme vainqueresse.

CÉRÈS.

Ô prudente réponse ; ô insigne vertu !

Et ce rare trésor ne conserveras-tu,

Bien heureuse Cibelle ? heureuse en la gésine

De l’ornement des Cieux que me donna Lucine,

Viens, mon Âme, suis-moi, viens voir le lieu sacré,

Lieu fidèle, à qui j’ai ta garde consacré,

Qui ne craint des Hivers la poignante froidure,

Qui se couvre en tout temps de fleurs et de verdure,

Qui ne t’épargnera les ébats souhaités,

Tant que prompte j’aurai mes Autels visités :

Prends donc le saint dépôt de ma flamme commise,

Terre Sicilienne à mes bienfaits acquise.

Prends ce précieux gage en ta protection,

Garde en lui mon courage et mon affection,

Sauf en mes mains rendu, par le Styx je te jure,

Que coutre ni râteau ne te feront injure,

Qu’à l’envi tes guérets mes présents germeront,

Que tes arbres de miel roussoyant couleront,

Bref, que tu passeras en ta richesse rare,

L’Hespéride verger, l’Hymette, et le Gargare.

Adieu, mon Cœur, voilà mes dragons attelés,

Qui sifflent de courir, ores appareillés.

PROSERPINE.

Ha ! la voix me défaut, de tristesse abattue,

Si courte qu’elle soit, cette absence me tue,

Entrons, portons nos pleurs en ce nouveau Palais,

Auspice néanmoins qui me semble mauvais.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

JUPITER, VÉNUS, MERCURE, PLUTON, PALLAS, DIANE, PROSERPINE

 

 

 

JUPITER.

D’un aveugle souci mon Âme dévorée

T’appelle à son secours, aimable Cythérée,

Tu me peux et me dois, ce secret révélé,

La tourmente accoiser de l’esprit martelé,

Entends l’occasion fort facile à comprendre.

Pluton que chacun sait de mon tige descendre,

Se plaint formellement, et selon l’équité,

Qu’après m’avoir son droit de l’Olympe quitté,

Héritant du refus de nous trois en partage,

On lui diffère encor les douceurs du noçage :

D’ailleurs ton fils lui a naguère ambitieux,

Empli tout l’estomac d’un venin furieux ;

Mais le pauvre insensé s’abuse trop de croire,

Que je porte jamais d’envie à votre gloire ;

Au contraire joyeux de la voir triompher

Sur ce qui lui restait au Monarque d’Enfer :

Soit, reprenons le cours du discours qui me laisse,

Des Parques d’une part l’ordonnance me presse,

D’autre la conscience émue de son droit :

Hé ! qui contre ces deux rebeller se voudrait ?

Que dis-je, si Thémis, la foi, la parentèle

M’enjoignent d’assoupir la naissante querelle.

VÉNUS.

Monarque Olympien, juste arbitre de tous,

Tu lui peux retrancher ce sujet de courroux,

Le pourvoir d’un parti de sa grandeur capable,

Et réparant le tort de ma race coupable,

M’employer où tu sais que mes arts sont requis,

Perré use librement de mon service acquis.

JUPITER.

D’épouse les destins dès longtemps ont choisie

Entre celles du Ciel qui goûtent l’ambrosie,

L’unique de Cérès dont la tendre beauté

Ne mérite rien moins que telle cruauté,

Que d’aller où l’horreur éternelle domine :

Or faut-il qu’à l’effet pourtant on s’achemine,

Sa mère redoutant de semblables liens,

L’estime bien cachée aux champs Siciliens,

Estime que le creux d’une caverne obscure

Conservera l’objet de sa plus chère cure,

Jusqu’au proche retour : toi doncques cautement

Ainsi que la trouvant là fortuitement,

Diane avec Pallas prises de compagnie :

Car à la vérité, chacun te calomnie,

Chacun te tient suspecte, et pour telle raison,

Sur l’opportunité des lieux, de la saison,

Tu persuaderas l’innocente pucelle

D’aller cueillir des fleurs parmi l’herbe nouvelle,

Pluton que j’aurai fait par Mercure avertir,

Viendra hors des caveaux Æthnéans à sortir

Vis à vis où ce mont les Enfers avoisine,

Et presse du Géant la sourcilleuse échine,

Il saillira dessus licite ravisseur

Vu qu’il ne pourrait onc l’obtenir de douceur,

Vu qu’Atrope a filé son Hymen de la sorte,

Qu’avienne après du rapt perpétré, ne m’importe,

L’inviolable Loi de la fatalité

Me dispense du blâme autrement mérité,

N’obéiras-tu pas, ma Diane chérie ?

C’est moi, c’est Jupiter ton père qui t’en prie.

VÉNUS.

Ô doux commandement, mon suprême bonheur !

Qui notre Empire accroît, et le comble d’honneur,

Ingrate mille fois, mille fois criminelle,

Je ne t’embrasserai du plus pur de mon zèle ;

Jamais Paphe, jamais le Gnidien séjour,

Non tous les lieux sacrez à la Mère d’Amour,

Ne m’ont ravi chez eux de pareille allégresse,

Que je vais délier le souci qui te presse,

Que ce tien mandement je promets accomplir,

Et des fatales Sœurs la volonté remplir.

JUPITER.

Va, douceur des humains, Mère de la nature

Tandis je renverrais d’ambassade Mercure :

Holà, Cilénien.

MERCURE.

Mon Père me voici.

JUPITER.

Approche, viens querir tes dépêches ici,

Entre-suis-moi, qu’instruit de bouche davantage,

Tu portes à mon frère un désiré message :

Tu ailles une paix stable ratifier,

Et des objections ma foi justifier.

 

 

Scène II

 

PLUTON, MERCURE

 

PLUTON.

L’outrageux arrogant persiste en sa malice,

Se délecte de voir qu’un amoureux supplice

Dérobe mon repos au milieu du repos,

Que le souffre allumé forcené dans mes os,

Cupide d’accorder ma demande équitable,

Se rendre pacifique à la raison traitable :

Mercure n’aurait tant son retour différé,

Du désespoir dépend le remède espéré,

La force donnera ce que la douceur nie ;

Secouons, secouons un joug de tyrannie,

Préparez-vous Guerriers, que la gloire conçut,

Pluton sans récompense onc faveur ne reçut,

Je hais l’ingratitude, et quant à moi l’estime

Redoubler en un Roi la grandeur de son crime,

Et des siens émousser le vertueux désir :

« Car quiconque en a fait mérite du plaisir,

Acquittez du devoir Soldats, ou Capitaines,

Je les acquitterai vers Minos de leurs peines,

Tous tous mis en franchise ès champs Élysiens,

Ils possèdent heureux toute sorte de biens ;

L’exploit apparaîtra fâcheux de prime face ;

Mais qu’est-il qu’un courage invincible ne fasse ?

Les Titans qui ne sont qu’un ombrage de nous,

Sans l’erreur précipit d’un aveugle courroux

Venaient jadis à chef de la même entreprise ;

Mais voici son Héraut remandé que j’avise

Que nous apportes-tu ? les armes, ou la paix ?

Parle, et plus mon esprit de fourbes ne repais.

MERCURE.

Ennemi du discord, témoin ce Caducée,

La chose a réussi comme je l’ai pensée,

Qui pourtant ne permet, secrète à plus de deux

Ores communiquer ses effets hasardeux.

PLUTON.

Retirez-vous esprits disposez de courage,

Mon signal entendu, de poursuivre l’ouvrage ;

Sus, expose ta charge en pure vérité,

Ne la déguise afin de me plaire irrité.

MERCURE.

Menteur je me soumets de subir les tortures

Qu’à tes plus criminels tu décernes plus dures,

Jupiter à ta plainte abattu de pitié,

Outre un instinct du sang réveillant l’amitié :

Que mon frère (dit-il ) apaise sa rancune,

Il n’a point de douleur qui ne nous soit commune ;

J’ai veillé soucieux pour son contentement,

Pour le rendre en sa couche heureux parfaitement,

Pour y faire tomber une vierge Céleste,

Qu’au défaut de Junon j’élirai, je proteste,

Un Phénix, un Soleil de beauté gracieux,

Que Cérès défiante a séquestré des Cieux,

Que nourrit près de soi cette idolâtre mère

Ès antres de Sicile, ainsi que prisonnière ;

Se prétendre jamais de douceur l’emporter,

Nullement, ce serait l’impossible tenter,

Qu’il y procède donc avec sa force ouverte,

Qu’il me l’aille ravir sur la Campagne verte,

Qu’il dépouille là-bas sa virginale fleur,

J’aiderai l’entreprise, et regret, ni douleur,

Ni plainte que la mère opposera contraire,

Ne feront que le coup fait soit encor à faire :

J’approuverai la chose en ne la reprouvant,

Paisible possesseur laissé dorénavant,

Notre amitié selon nos pacts entretenue.

Voilà sa volonté que je déclare nue,

Accepte ce parti digne de ta grandeur,

Et digne d’apaiser ton amoureuse ardeur.

PLUTON.

La procédure semble étrange, qu’il me faille

Une femme acquérir comme un champ de bataille,

Planter mon amitié frauduleux, violent,

Ce scrupule me va de nouveau martelant ;

Les fruits d’un tel amour qui passent la coutume,

Doivent, à mon avis, être pleins d’amertume.

MERCURE.

L’amorce du plaisir au contraire en amours,

Est la difficulté en ces petits détours :

D’ailleurs la Majesté de ton front redoutable,

À ce Sexe te rend un peu moins acceptable,

Senti plutôt que vu tu l’apprivoiseras,

Et un siècle à poursuivre ainsi t’épargneras.

PLUTON.

Tu dis vrai, je n’avais tes raisons digérées,

Ces Noces me feraient remourir différées,

Paravant qu’une mère, et les siens courtiser,

J’aurai peu de mes droits en mariage user,

J’aurai peu détremper les fureurs de ma flamme,

L’Hyménée accompli me libérant de blâme,

Son voile spécieux d’illicite n’a rien

Sous le consentement du Père Olympien ;

Mais ne me flatte point, cette Nymphe divine

A-t-elle une beauté qui perce la poitrine ?

Qui mérite la peine ?

MERCURE.

Ha ; dur ressouvenir !

PLUTON.

Comment tu ne pourrais rival te contenir ?

MERCURE.

Moi, j’ai trop de respect, seulement te suffise

Qu’elle eut dessus Vénus la pomme d’or acquise

Confrontée jadis par l’Idean Berger,

Je ne te dirais pas le continu danger.

PLUTON.

J’entends qui lui pendait du côté de mon frère.

MERCURE.

Tu as, la possédant, des beautés la première.

PLUTON.

Ô nouvelle agréable ! ô que je suis content !

Ô quel heur en ce sein, ce sein chaste m’attend !

Demeure Jupiter paisible en son Empire,

Je lui cède mes droits, plus outre je n’aspire,

Ennemi capital de tous ses ennemis,

Qu’il s’assure d’un frère en sa grâce remis :

À quoi plus de discours ? autre affaire m’appelle,

Mandez là force esprits, que mon char on atèle,

Amenez mes coursiers des bords de Phlegeton,

Orphnée avec Nyctée, Alastor, et Éton :

Vite, vite, je veux qu’elle même le guide :

Moi je fondrai du char comme un Aigle rapide

Sur la tendre pucelle, Adieu Mercure, Adieu,

Je récompenserai la peine en temps et lieu.

MERCURE.

Souviens-toi d’adoucir l’effroi de ce visage,

Sourd, de ses autres sens il a perdu l’usage,

Amour seul y domine, y forcène enragé,

Dieux ! comment à ce Rapt il marche encouragé :

J’aimerai mieux trouver un camp nombreux en tête,

Que devoir soutenir les coups de sa tempête,

Qu’aux assauts d’un amant adversaire m’offrir.

Hé Cieux ! que tu auras, pauvre Vierge, à souffrir !

 

 

Scène III

 

VÉNUS, PALLAS, DIANE, PROSERPINE, PLUTON

 

VÉNUS.

Vous jugerez, mes Sœurs, qu’en ce petit espace

Nature le commun de ses œuvres surpasse,

Sis au milieu d’un val environné d’un bois,

Les Campagnes d’autour fécondes chaque mois

Rapportent à Cérès leur Déesse adorée,

D’épis crus sans labeur, une moisson dorée,

Un Printemps au bocage, ès plaines un Été

Y sont, et de tout temps semblent avoir été

Mille ruisseaux bordés d’un odoreux fleurage,

Et d’autant d’oisillons le différend ramage,

Mainte grotte sauvage embellissent ces lieux

Qui ravissent l’esprit attiré par les yeux,

Ide le Fontenier, le val de Thessalie,

Cythère mon séjour, les forêts d’Idalie,

Ne l’égalent non plus qu’un buisson les Cyprès :

Pourquoi veux-tu vanter davantage si près,

Que l’œil à plain d’ici aisément le remarque,

Capable de tenir le Céleste Monarque.

Allons-nous y baigner en passetemps divers :

Allons voir l’abrégé du beau de l’Univers.

PALLAS.

L’appas délicieux de cette promenade

Ne trouverait-il rien de honteuse embuscade,

Docte à tromper tu es, sujette à caution,

Souvent un beau parler ment à l’intention.

VÉNUS.

Oui, puisqu’il plaît ainsi aux langues médisantes,

Qui déchirent mon nom de leurs pointes cuisantes,

Jaçoit que l’innocence ait son ferme rempart,

Malgré les vains aguets demeurent de ma part.

DIANE.

Tant qu’un arc et des traits dureront en ma dextre,

Tant que ce bras sera de décocher adextre,

Que j’aurai le carquois de sagettes muni,

Aucun n’attentera de me nuire impuni,

Ne t’étonne au surplus des voluptés ministre,

Si la pudicité tremble au bruit de ce titre,

Si la mère et le fils elle craint d’approcher,

Vu leur contagion qui se gagne au toucher.

VÉNUS.

Empruntez le renom de chastes, de sacrées,

Crédules, subornez des Vierges consacrées,

Tôt ou tard l’aiguillon de nature jeté.

PALLAS.

Fuyons ma Sœur, fuyons ce discours infecté,

Fuyons-le de bonne heure, une infâme hantise

Les feux dans la vertu des voluptés attise.

DIANE.

Ce sera le plus sûr.

VÉNUS.

De grâce ne bougez ;

Premières au combat vous mêmes m’engagez

Premières vous avez une guêpe incitée,

Qui pourtant, de respect, ne se venge, arrêtée.

Sus, reprenons, d’accord l’erre de nos devis,

Et du présent manoir me dites votre avis.

PALLAS.

Certes, je ne crois pas que demeure plus belle,

L’Olympe réservé pût allécher Cibelle,

J’entre d’une merveille en l’autre à son aspect,

Où certain accident me travaille suspect,

Dont là haut n’est encor la cause publiée :

Et tu nous en pourrais éclaircir, suppliée.

VÉNUS.

Très volontiers, à quoi vous tiendrai-je la main ?

Quel doute de moi su vous agite incertain ?

PALLAS.

L’occasion qui meut Cérès à nous distraire

Sa fille depuis peu.

DIANE.

Rien qu’un sale exemplaire

Pullulé dans les Cieux je ne dirais depuis.

VÉNUS.

Voilà comment toujours dessus les rangs je suis,

Toujours de vos brocards sourdement lacérée.

PALLAS.

Elle ne te l’a dit que par jeu Cythérée,

Ne laisse de m’ôter le scrupule entamé.

VÉNUS.

De ceux de son métier on est souvent blâmé,

Ses brocards à louange indifférents j’estime,

Au regard du souci curieux qui vous lime ;

D’assurance la mère a craintive caché

L’espoir de ses vieux ans, crainte qu’il fût taché,

Qu’un agréable amant ne prévint l’hyménée,

Où possible en ce lieu l’a-elle confinée,

Possible l’allons-nous rencontrer de hasard,

Qui d’enfantins ébats se repaît à l’écart.

DIANE.

Ô trois et quatre fois délicieuse vie !

Ô saincte ambition ! ô vertueuse envie !

Puissiez-vous persister en vos chastes desseins,

Que vos Temples d’honneurs et d’offrandes soient pleins,

Compagnes qui voulez ressusciter au monde

L’âge du bon Saturne en vertus si féconde,

Combien cela m’accroît le désir de vous voir ?

PALLAS.

Il me semble quelqu’un là bas apercevoir,

Sortis hors d’une grotte : ha ! je crois que c’est elle,

Oui, sans doute, voilà la fille de Cibelle,

Courons l’embrasser.

VÉNUS.

Non, surprise à l’impourvu,

Faisons-lui plutôt peur par manière de jeu.

PALLAS.

Je le veux bien.

DIANE.

Et moi.

VÉNUS.

Sus, chacune d’emblée,

Avec une clameur la saisisse troublée.

PROSERPINE.

Aimable solitude : ha ! qu’ores je te dois,

Que ta coutume passe en une douce loi !

Premier que te goûter tu m’étais ennemie,

Maintenant je n’ai point de plus fidèle amie,

Maintenant je reçois loin des trompeurs appas,

Par qui la volupté met l’honneur au trépas,

Les fruits de ta pieuse et sage prévoyance :

Ma mère, mon bonheur, ma solide fiance,

L’ennui que je craignais seule me dévorer,

Un moment qui devait un siècle me durer,

Produisent des effets contraires à l’attente,

L’âme de mille objets par ces lieux se contente ;

Aussi ce beau séjour de miracle parfait

Ne manque en rien qui puisse arriver au souhait,

Veut-on voir un verger émaillé de parterres ?

Des Ormeaux verdoyants mariez aux lierres ?

Ouïr de Philomelle un concert gracieux ?

Mais quel bruit importun, je suis perdue, ô Cieux !

Où fuirais-je ?

LES TROIS DÉESSES.

Rends-toi, rends-toi-rends-toi, demeure.

PROSERPINE.

Au secours, au secours.

PALLAS.

Tu es prise.

DIANE.

Je meure,

Si je me saurais plus de rire contenir.

VÉNUS.

Ni moi pareillement.

PALLAS.

Laissez-la revenir,

Transie de frayeur, pâle, défigurée,

Ainsi que qui l’aurait naguères déterrée.

PROSERPINE.

Miséricorde : hélas ! hé, que me voulez-vous ?

DIANE.

Ne t’épouvante point, belle Nymphe, c’est nous.

PROSERPINE.

Qui ?

PALLAS.

Tes Sœurs, ne vois-tu pas ? tes compagnes aimées.

PROSERPINE.

L’extrême peur m’avait les paupières charmées,

Déesses, rejetez sur elle ce défaut,

Referez un accueil indigne à tel assaut.

VÉNUS.

Notre offense du moins mérite cette peine.

PROSERPINE.

Ne me veuillez celer qui vers moi vous amène.

PALLAS.

La curiosité de visiter ce lieu

Où Cypris exalté n’observe de milieu,

Joint un autre désir de plus vive pointure,

Pour savoir quelle était ta douteuse aventure.

PROSERPINE.

L’incomparable honneur ne nous appartenait.

DIANE.

Ton esprit de pensers heureux s’entretenait,

Que nous interrompons de privauté trop grande.

VÉNUS.

Holà ; de terminer à toutes je commande,

Une cérémonie ennuyeuse et sans fin,

Songez que nous venons ici pour autre fin.

PALLAS.

Vraiment elle a raison, mène-nous, je te prie,

Où tu sais qu’il fait beau, soit bocage, ou prairie.

PROSERPINE.

Choisissez, je le veux.

DIANE.

Il n’importe du choix.

VÉNUS.

Flore aura mon suffrage au moins à cette fois :

Regardez son émail bigarré par ces plaines,

Que Zéphire courtise à petites aleines ;

Contemplez la beauté d’un million de fleurs,

Qui se servent de lustre en diverses couleurs.

PALLAS.

J’incline à ton parti du spectacle gagnée.

DIANE.

Jamais du commun but je ne tire éloignée,

Transportons-nous y donc.

PROSERPINE.

Ne le prenez pas là,

Ce lieu n’a d’avantage éminent que cela,

Sa beauté principale en ce seul point consiste.

VÉNUS.

Mon lièvre peu rusé se vient perdre à son gîte.

PALLAS.

Que dis-tu ?

VÉNUS.

Que ce n’est rien de se promener,

Qui ne veut ce plaisir d’un autre aiguillonner.

DIANE.

Moyennant que permis, nous te croirons, propose,

Sur tes inventions la troupe se repose.

VÉNUS.

Gageons à qui plutôt et le mieux parfera

Un chapelet de fleurs, qu’après on jugera.

PALLAS.

À moi ne tienne pas, une courte folie

Ne fait que la sagesse après ne se rallie :

Mais quel prix de victoire obtiendra le vainqueur,

Qui croisse l’industrie, et lui hausse le cœur ?

VÉNUS.

Je vous dirais, les Trois de la victorieuse

Couronneront le chef en marque glorieuse,

Leurs guirlandes aux pieds de la sienne posant,

Et un chant de triomphe à son los composant.

DIANE.

La paction me plaît, et à vous ?

PALLAS.

Tout de même.

VÉNUS.

Passons donc à l’effet de diligence extrême,

Chacune maintenant tire quartier à part,

Et s’en aille la sienne amasser à l’écart.

PALLAS.

Celui-ci me rit plus qui décline sur dextre,

Des armes nous pouvons leur usage remettre,

Sûres nous dépêtrer de ce fait empêchant :

Ma lance de ce coup contre terre fichant,

L’armet auprès couché, tu ne dois Cynthienne,

Craindre qu’un Orion surprendre ici te vienne,

Craindre en ma compagnie embûche ni danger.

DIANE.

Aussi de mon carquois me vais-je décharger,

Le suspendre là bas aux branchages d’un Orme.

VÉNUS.

L’une et l’autre aura peur paravant que je dorme,

L’une et l’autre voudrait ses armes retenir,

Mais allons cependant la feinte entretenir.

PROSERPINE.

Du vallon réservé à ma seule hantise,

J’oserai me vanter de la victoire acquise,

Une moisson de fleurs éparse dans son sein

Seconde entièrement au projet du dessein,

Proche dessous mes pas ja déjà je le foule.

Quelle subite joie en mon âme se coule !

Que d’aise me chatouille en l’honneur préparé,

Honneur presque incroyable à nul a comparé,

Honneur que Trois du Ciel premières reconnues,

Sont, pour me faire hommage, expressément venues,

Me doivent couronner avec leurs propres mains,

Afin que l’acte su des Cieux et des humains,

Outre le commun los éjouisse ma Mère

Plus qu’à se voir offrir une Hécatombe entière ;

Commençons à cueillir ce chapeau triomphant.

Dieux ! il semble là bas que la terre se fend,

Des flammes coup à coup précédent un tonnerre,

Hélas ! les Éléments m’annoncent-ils la guerre ?

Serai-je point trahie ; ô exécrable horreur !

Un coche vient ardent m’investir en fureur,

Me coupe le passage, et m’interdit la fuite ;

Au secours, au secours, las ! où suis-je réduite ?

PLUTON.

Pardonne, belle Nymphe, à ce fatal effort,

Tu résistes en vain, je serai le plus fort.

PROSERPINE.

Ha ! brigand ravisseur montre qui te dispense ?

PLUTON.

De nos heureux travaux tu es la récompense,

Force, vite reprends la route de là-bas.

PROSERPINE.

On m’enlève, au secours, Déesse des Combats,

Vierge Tritonienne, et de grâce ne soufre,

Qu’un Corsaire infernal me ravisse en son gouffre.

PALLAS.

Courons, courons, ma Sœur, où la clameur s’entend.

DIANE.

Surprise j’ai le cœur de crainte palpitant,

Et au lieu de bander mon arc il se débande,

Qui pis, notre secours trop tardif j’appréhende.

PALLAS.

Las ! on ne l’entend plus plaintive s’écrier.

DIANE.

Voyons à découvrir ce funèbre sentier,

Rien d’elle n’apparait, où es tu Proserpine ?

Réponds, que ce voleur, quel qu’il soit, l’extermine

Que mes traits décochés lui transpercent le flanc,

Lui fassent vomir l’âme en un fleuve de sang.

PALLAS.

J’atteste le Soleil en ma juste colère,

N’épargner le tenant, non Jupiter mon Père.

DIANE.

Ha ! pauvre Nymphe, hélas ! tu ne verras nos yeux,

Que vue désormais de ton plus précieux,

Il n’y a plus d’espoir de te sauver pudique.

PALLAS.

Qui ne découvrirait une sourde pratique,

L’insigne trahison, l’énorme impiété

D’une dont ce brigand a sa proie acheté ?

DIANE.

Regardez-là venir, et faire l’étonnée

Avec une douceur sorcière empoisonnée.

VÉNUS.

Douteuse si je suis, si je respire l’air,

À peine le poumon me permet de parler,

L’horreur de ce spectacle en mon âme imprimée,

Du souvenir encor je retombe pâmée.

PALLAS.

Ô la déloyauté ! la ruse de putain,

Volontiers qu’à ce coup tu n’as tenu la main ?

Qu’à ton déçu le Rapt est commis à ta vue,

Pour nous persuader, de mensonge pourvue,

Où est-elle ? dis tôt, nomme le malheureux,

Qu’avorte aux chastetés l’Érèbe funéreux :

Conduis-nous où l’infâme a désigné sa fuite,

Sur peine de subir les tourments qu’il mérite.

VÉNUS.

Cessez de redoubler ma triste affliction.

DIANE.

Cesse de te targuer avec la fiction,

Déniant de n’avoir dressé cette partie.

VÉNUS.

Armée ainsi que vous je l’aurai garantie,

Du moins fait les efforts de l’aller secourir,

Vous en dussiez de honte et rougir et mourir.

PALLAS.

Perfide, qui me tiens que de ton imposture,

Coupable mille fois d’une griève torture ?

Mais Jupiter saura tirer la vérité,

Garrotons-la, ma sœur, comme elle a mérité,

Afin de l’accuser, à son Trône menée.

DIANE.

Suis-nous de volonté, sans que tu sois trainée.

VÉNUS.

Trop tôt à vos dépens j’irais de lui savoir

Qui vous donne sur moi tel absolu pouvoir,

Qui vous meut d’outrager votre propre germaine.

PALLAS.

On ne peut à ta faute être trop inhumaine :

Marchons.

VÉNUS.

Je le veux bien, je n’y recule pas,

Sachant que vous perdrez vos peines et vos pas.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

CÉRÈS, L’OMBRE DE PROSERPINE, PLUTON et ÉLECTRE

 

CÉRÈS.

Que brassez-vous, Destins, contre mon innocence ?

L’immodéré bonheur, l’excès de ma puissance

Vous ont-ils, envieux, irrité tellement,

Qu’un clin d’œil je ne sois exempte seulement

De signes monstrueux, de funestes présages,

Suffisants d’ébranler les plus braves courages ?

Il ne se passe nuit que parmi le sommeil

Ma fille n’apparaisse effroyable à mon œil ;

Tantôt je vois d’un dard ses entrailles percées ;

Ores d’habit semblable aux ombres trépassées,

Je l’entends soupirer d’aussi piteux sanglots,

Que jadis Philomèle à la merci des flots.

Tairai-je qu’au milieu de mes Lares les Ormes

Stériles ont produit des feuillages énormes ?

Davantage un Laurier agréable entre tous,

Qui de chastes rameaux ombrage des époux

La couche nuptiale, ainsi qu’atteint du foudre,

Tronc, branches et racine amoncelés en poudre ;

Me plaignant du forfait les Dryades m’ont dit

Que les rages d’Enfer, d’un attentat maudit,

Sacrilèges y ont mis la dure cognée ;

Et qui de ces horreurs toujours accompagnée,

Ne tremblerait craintive ? ha ! ma fille : ha ! mon heur ;

Le renom du séjour menace ta pudeur,

Le Mont sous qui se forge à Jupin le Tonnerre,

Plus fameux, plus connu que tous ceux de la terre,

N’augure que ta perte, ô trésor précieux ;

Mais l’esprit surchargé d’un fardeau soucieux

Semble vouloir au somme incliner ma paupière,

Tâchons à recueillir sa faveur singulière

Sous ce Pin chevelu, d’herbage environné :

Las ! mon cœur ne se peut rassurer, étonné.

L’OMBRE DE PROSERPINE.

Cruelle tant de fois, mère dénaturée,

Méconnais-tu ta race en songe figurée ?

La contrains-tu sortir des Enfers derechef,

De son honneur perdu t’annoncer le méchef ?

N’en doute plus, c’est moi qui sa perte déplore,

Qui ton secours après ce dur naufrage implore ;

Et, si tu n’as banni sa mémoire du tout,

Si le soin maternel en ta poitrine bout,

Que tu n’aies sucé le lait d’une Tigresse,

Aide à me retirer d’une angoisseuse oppresse,

Ôte ta Proserpine, ôte-la des liens

D’un infernal Époux aux champs Ténariens :

Rends-lui du blond Soleil la lumière ravie,

Las ! ce sera lui rendre une seconde vie :

Ou du moins, impuissante à me tirer d’ici,

Décents me visiter en ce Règne obscurci,

Décents me consoler dans ce Monde funèbre,

Ainsi ta piété s’augmentera célèbre,

Ainsi je te croirais incoupable du tort,

Que m’a le Ravisseur fait en son traitre effort.

CÉRÈS.

Ha ! c’est elle, ma fille, ains mon âme, demeure.

Que sur ton front pressé de ma lèvre je meure,

Que je t’embrasse avant que d’entrer en la nuit :

Dieux ! plus léger qu’un vent le fantôme s’enfuit,

S’écoule de mes bras plus soudain que ne glisse

Un éclair par les airs, que l’eau d’un précipice !

Quel fantôme ? le songe imposteur l’a conçu,

Et sur l’objet du soin coutumier m’a déçu,

Aise qu’il ne soit pas, néanmoins je me fâche,

Qu’à mes embrassements son idole il arrache,

Je flotte irrésolue entre les deux avis,

Jamais que grands malheurs ne se sont ensuivis

Du mépris obstiné de tels sombres augures,

Signes avant coureurs de tempêtes futures.

D’ailleurs qu’ai-je besoin de craindre maintenant ?

Ne préserverait pas sa Nièce le Tonnant ?

N’a-t-il pour me défendre assez de force et d’armes ?

Hélas ! qui suffirait sans cesse à ses alarmes ?

Quitte, quitte, Cybèle, et danses et tambours,

Le cas plus important se préfère toujours,

Sans plus délibérer, ains mourir en ce doute,

Du mont Sicilien je reprendrai la route,

J’irais revoir ta fasse, ô mon unique appui !

Soleil qui séchera mes pleurs et mon ennui.

 

 

Scène II

 

PLUTON, PROSERPINE

 

PLUTON.

Farouche, apaise-toi, belle Nymphe, et rebelle,

Cesse de réclamer Jupiter et Cybèle,

Désiste de plomber l’albâtre de ce sein,

Où volète d’amours un idolâtre essein,

Ne dénigre l’époux que ta frayeur ignore,

Qu’à faute de savoir ton imprudence abhorre :

Celui qui t’a ravie, et te tient possesseur,

À Jupiter pour frère, et Junon pour sa sœur,

Je suis né de Saturne, à qui seul obtempère

Du Chaos débrouillé la semence première.

Timide ne présume au surplus, que le jour

Éclipsé de tes yeux n’y fasse son retour,

Nous avons en ces lieux un Soleil d’ordinaire,

Et d’astres commandés l’aspect plus débonnaire,

Un Printemps, un Été : bref, ces mêmes saisons

Qui se suivent là-haut sous les douze Maisons :

Tu respireras l’air des plaines Élysées,

D’une plus douce Aurore en tout temps arrousées,

Ses Citoyens viendront plus dévots t’adorer ;

Ne resterait sinon ce tien deuil modérer,

Sinon que retourner à la raison distraite,

Croire qu’ici tu as une heureuse retraite,

Une moitié loyale, un Dieu des plus puissants,

Qui tes vœux de plaisirs accomplit jouissants,

Qui sa Couronne au pied de tes beautés abaisse,

Et qui de ses désirs te reconnait Princesse.

PROSERPINE.

Parlez-vous de plaisirs où je n’ai vu qu’horreur ?

D’accoiser ma tristesse où tout est en fureur ?

De lumière, où je sens les ténèbres palpables ?

De liesse, où l’on n’ait que des plaintes coupables ?

D’Hyménée, où Cérès jamais n’a consenti ?

Vos paroles ensemble aux effets ont menti :

Permettez qu’impolue à elle je me rende,

Et premier que m’avoir proposez la demande.

PLUTON.

Tu le pensais d’abord, écoute qu’à présent,

Vois que rien ne s’entend, ne s’offre déplaisant,

Que chacun prosterné devant ta belle image

Lui offre de bon cœur des prémices d’hommage ;

Joint que par l’habitude un scrupule de rien

Le comble se fera de ton souverain bien,

Tu ne te voudrais pas autrement épousée,

Tu ne te voudrais pas autrement abusée,

Reine du grand Empire où tombe tour à tour

Tout ce qui vit compris au Céleste contour,

Maîtresse du Destin, des Parques qui le tissent,

Qui les Dieux, les humains à nous assujettissent,

Autant de Rois qui sont sur la terre adorés,

Qui logent sourcilleux en des Palais dorés,

Compagnons au trépas de l’ignoble commune ;

Pêle-mêle viendront admirer ta fortune,

N’avise seulement que de te réjouir,

Que d’un bonheur suprême et durable jouir.

PROSERPINE.

Loin des yeux maternels ne me parlez de joie,

Pour tarir mes regrets faites que je les voie.

PLUTON.

Nos Mondes séparés ne s’y accordent pas.

PROSERPINE.

Quelque part qu’elle soit je veux suivre ses pas.

PLUTON.

Que te profitera d’affecter l’impossible ?

PROSERPINE.

Pourquoi ne pouvez-vous à ma douleur fléchible

Me reporter au lieu où surprise je fus ;

Comment, si vous m’aimez, m’usez-vous de refus ?

PLUTON.

Les Parques une fois ont ma course bornée,

Et Jupiter en a la sentence donnée,

Obstacles éternels désormais opposés !

PROSERPINE.

Ainsi donc du Destin venteur vous disposez ?

Ainsi vous commandez à ceux qui vous commandent ?

Ainsi tous d’un accord à ma ruine tendent ?

Ô chétive ! ô chétive !

PLUTON.

Encor as-tu passé

L’âge à suivre une mère aux enfants compassé,

Ces ébats de néant dussent avoir fait place

Au désir d’un mari qui leur mémoire efface.

PROSERPINE.

Ma douce liberté consommée en plaisirs,

Onc rien moins n’a conçu que semblables désirs,

Proposant imiter le saint vœu de Minerve,

J’aimerai beaucoup mieux vivre libre, que serve.

PLUTON.

Nulle incommodité, nulle sujétion

N’altéreront de l’heur de ta condition,

Crois-moi, chère moitié, que tu vas au contraire

L’accroissant devenir franche de tributaire ;

Une Mère t’amuse à des fades douceurs,

De je ne sais quel vœu stérile de deux sœurs :

Mais au sein d’un mari dans leur source tu puises,

L’épreuve t’apprendra que ce ne sont feintises,

[Tu te repentiras de l’avoir crève, alors

Que dans le lit nocier nous ne ferons qu’un corps,

Que nous nous tirerons les âmes par la bouche,

Transis d’aise pendant l’amoureuse escarmouche

Que l’espère attaquer aussi vif et dispos.

PROSERPINE.

Ha ! ne me polluez de si sales propos.

PLUTON.

L’excessive froideur de ton âme de glace

Demande qu’un discours tout de flamme la chasse.

PROSERPINE.

J’estime que les cœurs plus enflammez d’amour

Éteindraient leurs brandons en ce triste séjour.

PLUTON.

Tes Soleils dissipant leur humide nuage,

Dessus celui des Cieux il obtient l’avantage.

PROSERPINE.

Le poisson séparé de son propre élément,

D’y pouvoir retourner aspire seulement,

Dédaigne de goûter l’appas qu’on lui présente,

Comme moi du Soleil, et de ma Mère absente.

PLUTON.

Amis, divertissons l’erreur de ses ennuis,

Qu’il n’y ait plus chez nous d’apparence de nuits,

Tandis qu’en mon Palais elle a fait son entrée ;

Festoyant le bon heur par la noire Contrée :

Qu’Ixion délié ne traine son tourment,

Que l’on ôte Tytie à son Aigle gourmand :

Permettez que les eaux désaltèrent Tantale,

Que Sisyphe son roc pour ce jour ne dévale,

Que le tonneau rempli des homicides Sœurs :

Bref, que tout participe au miel de mes douceurs,

Que tous en sachent gré à leur nouvelle Reine :

Viens mon cœur, qu’en un Trône apprêté l’on te mène,

Que tu sois couronnée, et reçoives de moi

L’otage suffisant de ton peureux émoi.

 

 

Scène III

 

CÉRÈS, ÉLECTRE

 

CÉRÈS.

L’affreuse impression de ma crainte redouble,

Je sens croître d’autant l’orage qui me trouble,

D’autant se renforcer, que l’approche le bord

Où réside l’objet du souci qui me mord :

D’espoir abandonnée, à l’oiseau je ressemble,

Qui pour son nid branlant sur la cime d’un Tremble,

Où des frêles roseaux, en gémit écarté ;

Célestes, ôtez-moi la vitale clarté !

Permettez que plutôt immortelle je meure,

Plutôt que ce soupçon véritable demeure,

Plutôt que ne revoir celle pour qui je vis,

Plutôt que mon bon heur un désastre eut ravi,

Ravir ? il ne se peut, qui l’aurait découverte

Recluse au plus secret de cette Île déserte ?

Or entre ces pensers j’attends le receleur

De ma joie, où l’Enfer futur de ma douleur,

Voici de mon dépôt la place gardienne,

Que personne au devant si proche ne me vienne ?

Tout plein de solitude, et horrible d’aspect :

Hélas ! hélas ! que j’ai ce silence suspect.

Ma fille n’apparait, n’aucune de sa suite,

Tu es, n’en doute plus, pauvre mère, détruite.

Entrons dans le Palais, voyons de bout en bout ;

Proserpine, où es-tu, ma lumière, mon tout ?

Proserpine, vient tôt, qui me cache ta face ?

Vient tôt, que de baisers sur ton front je me lasse :

Ha ; ces cris importuns ne pénètrent que l’air,

Je serais sans réponse un Siècle à l’appeler,

Et malheur ! je n’ai vu le long de ces campagnes,

Non plus que là dedans, nulle de ses compagnes,

Électre sa nourrice, et Cyane ont quitté

Leur chef enveloppé d’une calamité !

Que tardez-vous mes bras, de venger en furie

Une Mère orpheline, et sa race périe,

D’arracher ces cheveux, de marteler ce sein,

Ce sein chenu d’angoisse, et d’amertume plein ?

Ô malheur ! ô douleur ! ô perte irréparable !

Ô prodige trop vrai ! ô Ciel inexorable !

Ô Jupiter n’as-tu point de compassion

De l’énorme grandeur de telle affliction ?

Concède-moi du moins que je sorte de doute :

Car résolue au pis plus rien je ne redoute,

Concède-moi savoir son lamentable sort,

Si les Titans ont fait à nos Lares effort,

Si avec ses cent bras l’orgueilleux Briarée ?

Si du fait violent d’Ynacrine altérée,

Typhoës a secoué le joug, ou son germain

Celui du Mont ardant qui menace prochain ?

Exaucez ma prière et juste et pitoyable,

Puis di que me servait lors ton arme effroyable,

Éconduite j’aurai sujet de soupçonner :

Mais vois-je pas Électre ici s’acheminer ?

Oui, dont le port confus, et sa fasse blêmie

Me confirment assez un méchef d’infamie.

ÉLECTRE.

Ô qu’à ma volonté, Déesse, l’accident

Je pusse témoigner des Titans procédant,

Que l’outrage commis d’une troupe immortelle

Ne violât ce nœud si saint de parentèle,

Trois, que ne soupçonnez en qualité de Sœurs,

Firent à mon avis la planche aux ravisseurs.

CÉRÈS.

Ô exécrable nom ! que ma fille ravie

Ne fera désormais qu’une mort de ma vie :

Poursuit.

ÉLECTRE.

Dans ces Palais coulèrent plusieurs jours,

Que se remémorant vos préceptes toujours

Proserpine au milieu de nous ses domestiques,

Contente se reput d’ébattements pudiques,

Sans craintive sortir le seuil de la maison,

Quand voici survenir, (ô lâche trahison !)

La trompeuse Éricine, et d’amorce avec elle,

Crainte qu’on se doutât de l’embûche infidèle,

Pallas Tritonienne, et la Dive des bois,

L’une la lance en main, l’autre au dos le carquois,

De discours en discours, au combat attirée,

Ensemble elles s’en vont picorer une prée,

Diane suit ses pas, les Sereines aussi.

Moi de l’œil, un peu loin de l’œil et du souci,

Moi qu’accable du faix la vieillesse chagrine,

Plutôt qu’un tourbillon dans l’air ne se mutine,

La terre aux environs tremble, une épaisse nuit

Tremblotante d’effroi mes paupières circuit.

Du Barathre entr’ouvert un chariot en flamme

L’imprudente saisit qui nos dextres réclame ;

Inutiles clameurs, qui n’avaient point de cours,

Vu que nous attendions d’elles-mêmes secours,

Vu que nous espérions les Déesses armées,

D’un reproche honteux purger leurs renommées ;

Déçues néanmoins de ce pipeur espoir,

Elle et son Ravisseur viennent à disparoir,

Phœbus rend à nos yeux sa clarté suspendue,

Et sa dernière voix fut sous terre entendue :

Chacune des trois Sœurs s’enfuit qui çà qui là,

Si que du songe vrai mon esprit s’éveilla,

Confuse vers Cyane, et craintive je tire,

Qui proche me pouvait de l’aventure instruire :

Mais, double perfidie, un subit changement

Lui ôte le parler, le pouls, le mouvement,

Sous ses pieds disparue une fontaine source,

Qui les nôtres surpris arrouse de sa course,

Ses cheveux, son visage et son corps écoulés

Fondent en petits flots sur l’herbage roulés.

N’augmentent que ma plainte, et mon incertitude,

Déesse, je proteste une humble servitude,

J’atteste devant vous un fidèle devoir

Autre chose du cas impourvu ne savoir.

CÉRÈS.

Doncques la volupté frape contagieuse

Celles que j’estimais d’âme religieuse ?

Celles qui ne prêchaient qu’honneur, que chasteté,

Complices du malheur de ma race ont été.

Ô mortels insensés, que de vœux et d’offrandes

Les honorez après de lâchetés si grandes !

As-tu quitté Pallas, tes batailles exprès ?

Toi, tes limiers, tes bois, tes panneaux, et tes rets,

Afin de triompher de ma veuve famille ?

Qu’ont tant mépris vers vous ou la Mère, ou la Fille ?

Mais toi, Peste du Monde, et l’opprobre des Cieux,

Qui de peur de tomber en tes lacs vicieux,

Nous bannis elle et moi du Manoir Olympique,

Quel envieux tançon de rancune te pique ?

Est-ce là le serment que tu fis devant nous,

Surprise en adultère au lit de ton Époux ?

Serment qu’à l’avenir tu vivrais mieux nommée,

Serment qui ne dura non plus qu’une fumée.

Ô la simplicité d’attendre un changement

En tes lubricités pleines d’enragement !

De croire que jamais ta perverse nature

Reçoive s’amendant un meilleur pli qui dure,

Qu’insiste-je dessus ces regrets superflus,

Sans obvier au mal qui me presse le plus ?

Sans courir fureter l’une et l’autre Machine,

Pour tâcher de r’avoir ma belle Proserpine ?

Sus, quoi que le Soleil dorme ja sous les eaux,

J’allumerai deux Pins qui servent de flambeaux,

Qui conduisent mes pas jusqu’au fond du Ténare,

Si là quelque brigand de ma fille s’empare :

Les voici rencontrés tels que je désirais.

Ha douce Géniture ! hélas ! je n’espérais,

Je n’espérais porter, Mère bien fortunée,

Autre torche pour toi que celle d’Hyménée,

De flambeaux funéreux je ne prévoyais pas

Devoir de ton honneur célébrer le trépas ;

Il le faut néanmoins, les Vierges Érébiques

Ont passé ce décret par leurs fuseaux iniques,

Il me faut ces rigueurs déplorable éprouver,

La Sicile avertie aidant à te trouver.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

JUPITER, NÉRÉE, ACHELOIS, PAN.

 

JUPITER.

Derechef, Immortels, des affaires humaines

Le souci négligé pour d’autres plus hautaines,

Interrompt mon repos, me presse, me reprend :

Il vous souvient du temps, que de mon vieil Parent

J’usurpai la Couronne, et le Sceptre suprême,

Dès lors je résolus de changer en moi-même

Un État paresseux de Cet âge grossier,

Je voulus un long somme aux peuples délier,

Poindre d’un aiguillon leur courage stupide,

Empêchant que le miel des hauts chênes fluide

De plein gré, sans labeur, des mouches se confit,

Que le Coutre épargné nulle moisson se fit,

Que Bacchus dégorgeât sa liqueur de ses veines,

Il m’a plu mesurer la récompense aux peines,

Par la nécessité faire vivre les Arts :

Mais une plainte vient à moi de toutes parts,

L’ouvrage d’Japethe ouvertement murmure

De sa condition trop servile et trop dure,

Maintient que je lui rend du destin de ma voix,

Marâtre une qui fut bonne mère autrefois,

Demande que lui vaut sa Céleste origine,

Que les yeux vers le Ciel, et debout il chemine

Vagabond, dispersé, voire pire de sort,

Que les feres qui ont un tutélaire fort.

L’équitable motif de pareille requête

Mérite que l’oreille et la dextre on y prête,

M’induit Père commun, de pourvoir à son bien,

Le Monde retiré du gland Caonien.

Amassé désormais dans l’enceinte des villes,

Et sous l’ordre des lois poli de mœurs civiles :

À cette occasion l’Orpheline Cérès,

Telle que la Lionne en l’obscur des forêts,

Qui cherche ses enfants furieuse à la trace,

Elle errant de la sorte après sa chère race,

Doit selon nos décrets dessus l’indice pris,

Même incertain de ceux qui se seraient mépris,

Divulguer le secret d’ensemencer les terres,

Ses guérets défricher de chardons et de pierres,

Apprendre à façonner le soc au Laboureur,

Autant profitera son profitable erreur,

Que si quelqu’un de vous outrecuidé s’ingère

De trahir les amours furtives de mon Frère,

Découvrir à Cérès qui sa fille détient,

Je jure ce pouvoir qui sur tous m’appartient,

Je proteste une paix qui cimente profonde,

Qui cimente et maintient la grand masse du Monde,

Fût-il proche parent, de même tige issu,

Fût-il ou fils, ou fille dans ma couche tissu,

Me tint-il de Junon la place légitime,

Que mon foudre élancé le punira du crime

Qu’à l’instant de l’Égide un coup il sentira,

Et de n’être mortel tôt se repentira,

Je rendrai son exemple à l’Univers notoire,

Par les flots ténébreux du Père de victoire,

Qu’aucun ne s’émancipe à la témérité,

Sur peine d’éprouver Jupiter irrité.

NÉRÉE.

Monarque universel ne t’émeu de colère,

Craignant qu’aucun de nous avertisse la Mère,

Ton alme prévoyance à régir l’Univers,

Tes yeux sur le salut commun toujours ouverts

Obligent à l’égal et les Dieux et les hommes,

D’obéir au Soleil de qui l’ombre nous sommes :

Pour moi qui sous Neptune ai l’Empire des flots,

Tu te peux assurer que dans leur vague enclos

On tiendra le secret cacheté du silence,

Là s’observe un respect mêlé de bienveillance,

Aux enfants de Saturne, ainsi que veut le rang

Qui leur pouvoir distingue, encore que d’un sang.

ACHELOIS.

Des Fleuves député vers ta Majesté sainte,

Ils lui jurent chacun par ma bouche, sans feinte,

L’obéissance due, immuable à jamais,

Et laquelle en mon nom pleiger je me soumets.

Repose donc, grand Dieu, dessus cette parole

Plus ferme que ne sont les fondements du Pole :

Crois que nous cèlerons la chose que tu veux,

Qu’à te gratifier conspirent tous nos vœux.

PAN.

Douterait-on de moi, et de ceux de ma bande ?

Faunes, Nymphes, Sylvains, auxquels seul je commande,

Purs de fraude maligne, et de déloyauté,

Père tu leur pourrais fier ta Royauté,

Amis de l’innocence, amis de la Nature,

Qui feraient à Pluton de leur âme ouverture,

Pour mettre à sauveté son amoureux butin,

Et pour y consommer un Hymen clandestin,

Non, nous irions ravir au besoin la pucelle

Pour mettre entre ses bras, et qu’aucun le décèle ?

JUPITER.

Satisfait je rends grâces à l’astre de mon heur,

Qui vous inspire à tous une même candeur,

Un dévotieux zèle, une foi concordante,

Aux bienfaits conférés de ma main répondante,

Persistez-y toujours, d’un loyer assurés

Plus grand à l’avenir que vous ne l’espérez.

Or allons au Banquet préparé de Mercure,

Que relâchant un peu la journalière cure

Je confirme avec vous une hospitalité

Inviolable au cours de la fatalité.

 

 

Scène II

 

PREMIER PAYSAN, DEUXIÈME PAYSAN

 

PREMIER PAYSAN.

L4Excellence du don reçue depuis naguère

Me ravit d’autant plus que je le considère,

Petit, de nulle montre, il doit germer fécond,

Et pour un, mille grains mettre en son épi blond,

Réduit en poudre après, et cuit en une masse,

De vivre nous fournir, qui les glands outrepasse,

Meilleur à l’infini de goût et de saveur.

Ô vraiment libérale et divine faveur !

Ô digne d’éprouver la fortune meilleure !

Ton inique malheur déploré me malheure,

Malheur, je ne saurais bien comprendre cela,

Que les Immortels sont sujets à ces lois-là ?

Car elle je la crois du nombre des Déesses,

Tous ses gestes en ont des marques trop expresses,

Outre l’ample miracle à ce présent conjoint,

Le mauvais sort pourtant ne la dispense point,

Hélas ! qu’espéreront ceux que le vice accable,

Quoi de mieux désormais, que le Ciel implacable ?

Confus d’étonnement et d’appréhension ;

Mais du jour arrivé prenants l’occasion

Tâchons de lui donner de sa fille nouvelle :

Hé ! qui ce Voyageur tient là-bas en cervelle,

Croisant ses bras au Ciel, aperçue le voici,

Qui pour me devancer traverse droit ici.

DEUXIÈME PAYSAN.

Ami n’aurais-tu point ouï, je te supplie,

Quelque bruit d’une Nymphe en beautés accomplie ?

Elle cueillait des fleurs, qu’un Ravisseur méchant

L’enlève, et que sa Mère ores la va cherchant,

Déclare si tu sais rien de telle aventure,

Et tu en recevras le salaire à usure.

PREMIER PAYSAN.

Occupé d’elle-même à ce même labeur,

Je voudrai bien pouvoir alléger sa douleur,

Tu me trouves errant, compagnon de tes peines,

Qui la cherche par monts, par coteaux, et par pleines,

Qui vers elle contraint me prépare au retour,

Ores que le Soleil nous achève son tour.

DEUXIÈME PAYSAN.

Comment la désolée en ta maison venue ?

PREMIER PAYSAN.

M’a conté l’accident de sa déconvenue.

DEUXIÈME PAYSAN.

Non pas sans te payer de l’hostelage pris ?

PREMIER PAYSAN.

J’en possède un présent d’inestimable pris :

Mais toi ?

DEUXIÈME PAYSAN.

Ni plus ni moins, l’espoir de sa promesse

Réussi, je n’adore après autre Déesse.

PREMIER PAYSAN.

Un Autel consacré fumera tous les ans,

Décoré de ses fruits les premiers murissants,

Son los résonnera par toute la Sicile,

L’effet se conformant à ce secret utile.

DEUXIÈME PAYSAN.

Tout mensonge répugne au naturel des Dieux,

Ils ne tombent jamais en ce vice odieux,

Et qui de leurs bienfaits se veut rendre capable ;

D’une incrédulité ne doit être coupable.

PREMIER PAYSAN.

Je n’en doute autrement que pour la nouveauté.

DEUXIÈME PAYSAN.

Las ! parlons de son sort si plein de cruauté.

PREMIER PAYSAN.

Mes yeux du souvenir se préparent aux larmes :

Ô qu’elle supportait de terribles alarmes !

DEUXIÈME PAYSAN.

Ainsi que l’un de nous par mégarde privé

De l’espoir de ses ans tendrement cultivé !

Que dis-je l’un de nous si les Feres sauvages

De pareilles douleurs convertissent en rages,

Si pour sauver leurs Fans elles ne craignent pas

D’encourir le danger éminent du trépas ?

PREMIER PAYSAN.

L’exemple pitoyable enseigne, que le Père

Trop sa fille gardant, garde son vitupère,

Qu’il ne saurait trop tôt d’un gendre se pourvoir,

Pour vaquer gardien fidèle à ce devoir.

DEUXIÈME PAYSAN.

Comme les plus beaux fruits sur l’arbre font envie,

Ce sexe à son amour un jeune âge convie,

Et mûr dès le Printemps trébuche bien souvent

Aux secousses que donne un subtil poursuivant,

Place faible n’eût onc tant besoin de défense,

Que l’honneur d’une fille, à ce qu’on ne l’offense,

Qu’un vain cœur ne l’empiète, et nous contraigne après

Les branches d’Hyménée échanger en Cyprès,

Lucine m’honora d’une fille héritière ;

Mais tous autres respects délaissés en arrière,

Elle n’avait qu’à peine atteint la puberté,

Quand je la mis et moi d’un coup en liberté,

Lui donnant d’un mari la tutelle assurée,

Prévoyance qui m’a succédé bien-heurée.

PREMIER PAYSAN.

Voilà certes aussi la jointure du nœud :

Et voilà qu’imiter au plutôt je fais vœu,

La mienne colloquant, (car semblable fortune

De plusieurs élevés ne m’en a laissé qu’une)

Chez un parti sortable, où s’ancre mon repos :

Mais l’heure ne permet d’étendre ce propos,

Phœbus de notre jour la carrière divise,

Allons-nous acquitter de la charge entreprise.

DEUXIÈME PAYSAN.

Allons, chacun s’efforce en cette piété ;

Adieu.

PREMIER PAYSAN.

Adieu ami, c’est par trop arrêté.

 

 

Scène III

 

CÉRÈS, ARÉTHUSE

 

CÉRÈS.

D’ennuis, de soins, de maux, de douleurs opprimée,

D’un frivole travail recrue et consommée,

Forclose d’espérer allégeance qui soit,

Contrainte de quitter l’espoir qui me déçoit.

Hélas ! chétive ! hélas ! quel parti dois-je prendre,

Où pourrai-je le sort de ma Captive apprendre ?

Mes pas ont tournoyé la Sicile trois fois,

Les Fleuves visité, les Antres et les Bois,

Les peuples informé de Province en Province,

Incertaine à présent comme avant que je vinsse ;

S’enquérir des mortels ? ô grande absurdité !

Les Célestes ayants ce mal prémédité,

Eux-mêmes attitré le brigand de ma race,

Eux-mêmes du forfait entériné la grâce :

Titan Père du jour, gloire du Ciel voûté,

Tu as de mes douleurs l’amertume goûté,

Lorsque mauvais Cocher ton Fils brulé du foudre,

Cuida des Éléments la concorde dissoudre,

Que tu vengeas sa mort, emporté de ton deuil,

Clair Phœbus qui vois tout, et fais voir de ton œil,

Mesure, alme flambeau, ma misère à la tienne,

Ne soufrant, receleur, que plus on la détienne,

Montre, déclare-moi le lieu de sa prison.

Ha ! tu es du complot de cette trahison !

Les soupirs maternels ne retardent ta course,

Qui sait si tu serais leur principale source ?

Voleur des chastetés ordinaire effronté,

Dangereux à l’effort, malin de volonté,

Ton Oracle menteur couvrirait ta luxure :

Cherche, Cybèle, ailleurs, qui de ta peine endure,

Qui daigne vertueux le vice déceler,

Mais non pas chez les Dieux de l’Olympe et de l’air.

Voyons si dans l’horreur de ces forêts époisses,

Plus de pitié pourra adoucir nos angoisses,

Si parmi les Lyons, les Serpents, et les Ours

Nous ne trouverons point de plus présent secours,

Si d’aventure Écho de ma plainte frappée

N’en révélerait rien, ou bien quelque Napée.

Ô stérile confort, ô débile soulas,

Duquel au désespoir nous nous servons, hélas !

Je n’ai plus qu’essayer de remède solide :

Mais l’entrevois là-bas quelque Nymphe timide,

Qui faute de connaître, et de me discerner,

Entre ces arbrisseaux tâche à se détourner,

À moi, qui que tu sois, à moi, ne prends la fuite,

Diane la priant ne m’aurait éconduite.

ARÉTHUSE.

Déesse, pardonnez à la peur qui me suit,

Seule en ces lieux déserts je tremble au moindre bruit,

Nous n’osons plus aller sinon de compagnie,

Tant dessus notre troupe use de Tyrannie

Pan qui soufre les siens aux filles s’adresser,

Et de leur déshonneur bien souvent les presser :

Las ! encore depuis un malheur que je n’ose

Remémorer depuis, une Métamorphose.

CÉRÈS.

Ah ! belle Vierge, honneur du troupeau Delien,

Je te méconnaissais, et tu m’excuses bien,

Vu l’extrême douleur de ma récente plaie,

Ta Maîtresse en retient la connaissance vraie,

Dis, de grâce, étais-tu avec elle le jour

Qu’on ma si faussement joué ce mauvais tour,

Me garde Jupiter, qu’onques je te soupçonne,

Le Soldat ne peut rien où son Chef en personne

Absolument commande ; or voudrais-je savoir

Que tu peux seulement par conjecture voir ?

ARÉTHUSE.

L’accident si subit d’une force impourvue

M’ôta le jugement, la parole, et la vue.

CÉRÈS.

Quelle distance était à l’heure du malheur,

Entre toi, je te prie, et l’infâme voleur ?

ARÉTHUSE.

Cent pas, ou environ, mais certaine vallée,

Outre l’épaisse nuit sur nos yeux dévalée,

Des Tonnerres lâchés, des tourbillons venteux

Ensemble m’ont rendu le spectacle douteux.

CÉRÈS.

N’avais-tu rien ouï de ce complot entre elles ?

ARÉTHUSE.

Pour deux vous vous trompez de les croire infidèles.

CÉRÈS.

L’apparence pourtant le donne à préjuger.

ARÉTHUSE.

Je sais qu’elles mourraient avant que d’y songer.

CÉRÈS.

« Quiconque aura prêté sa présence à un crime,

« Absous n’échappera du blâme légitime.

ARÉTHUSE.

L’innocence surprise a de quoi s’excuser,

Rien plus que l’innocent facile d’abuser.

CÉRÈS.

J’impute du forfait la première origine

Aux persuasions d’une seule Éricine ;

Mais.

ARÉTHUSE.

Sans exception je maintiens derechef,

Que Diane et Pallas ignorent ce méchef,

Ressentant la douleur et l’injure commune.

CÉRÈS.

Onc je ne leur donnai de sujet de rancune,

Ni ne voudrais donner.

ARÉTHUSE.

Sur quelle illusion,

De les soupçonner donc vous naît l’occasion ?

CÉRÈS.

Que l’une et l’autre armée a vu sans résistance

Se perpétrer l’outrage, et sans en faire instance.

ARÉTHUSE.

Le Destin de Cyane examiné de près

Augurait au complot de merveilleux apprêts,

Outre qu’elles n’avoient leurs armes éperdues,

Armes qui çà qui là sur l’herbage étendues,

Qu’un plus puissant, hélas ! qu’ai-je quasi lâché ?

Le témoignage ici tient lieu de grand péché.

CÉRÈS.

Aréthuse, mon œil, je te prie à mains jointes,

Par mes fières douleurs, et leurs sensibles pointes,

Par le deuil maternel qui dévore ce sein,

Me vouloir déceler les auteurs du dessein,

De ne me point laisser de doute inquiétée,

De ne me plus souffrir vagabonde agitée,

Toujours calamiteuse, un Enfer après moi,

Un Enfer de soucis, de douleurs et d’émoi :

Hélas ! pour ce plaisir il n’y aura salaire

Qui demandé l’égale, et me puisse déplaire,

Mes Villes, mes Autels, ma propre Déité,

Je te vais transporter disant la vérité.

ARÉTHUSE.

« Lorsque notre salut balance d’un extrême,

« La première pitié doit s’ourdir à soi-même.

CÉRÈS.

« Aucun ne doit avoir de crainte en bien faisant,

ARÉTHUSE.

Aucun ne peut bien faire ici qu’en se taisant.

CÉRÈS.

« Qui cèle un méchant acte a mérité sa peine.

ARÉTHUSE.

Qui décèle les Dieux a mérité leur haine.

CÉRÈS.

Les Dieux ne sont plus Dieux, non plus à respecter,

Quand le mors de Thémis ils veulent rejeter,

Qu’ils confondent l’injuste avecque l’équitable,

Vices trop annexés à ce Rapt détestable,

À ses exécuteurs, et à ses agresseurs ;

Au pis, les miens et moi seront tes défenseurs,

Tu auras mes Germains Monarques des trois Mondes.

ARÉTHUSE.

Ô racines d’erreur, aveuglement profondes !

Ô trompeuse espérance ! ô pauvre Mère ; hélas !

Cherchez, cherchez ailleurs de vos maux le soulas,

Que ce nom de Parent ne vous trompe frivole,

La pitié me contraint de trancher la parole.

CÉRÈS.

Ne la tranche à demi, poursuis, que tardes-tu ?

De tous ses ennemis triomphe la Vertu,

Sa Palme vers le Ciel plus belle se redresse,

Plus l’envieux fardeau tâche à lui faire oppresse,

Je te garantirais, par le Soleil qui luit,

Et laisse d’un discours l’inutile circuit,

Et l’histoire du Rapt de ma Fille m’expose.

ARÉTHUSE.

Sur ce sacré serment aussi je me repose,

Dessus lui je bâtis mon asile et mon port,

Sans lui j’éprouverais de Cyane le sort,

Qui pour avoir nommé le Ravisseur, à l’heure

Chétive, transformée en fontaine demeure,

L’infernal Dieu des Morts votre Fille a ravi.

CÉRÈS.

À ce nom proféré je doute si je vis,

Pluton ?

ARÉTHUSE.

Pluton lui-même issu de dessous terre,

Dedans un char couvert de feux et de tonnerre,

L’emporta s’écriant, si soudain replongé,

Que je présupposai le spectacle songé,

Que vos guerrières Sœurs, sans leurs armes surprises,

Désirants le ratteindre, et en venir aux prises,

Le dois-je dire, ou taire ? une voix retentit

Qui leur pieuse ardeur sur le champ alentit,

Qui la chose avouant, sciemment avenue,

Commanda qu’elle fût secrète retenue,

Sur peine de sentir un foudre punisseur,

Ores vous connaissez le nom du Ravisseur,

Ainsi que le progrès de toute l’entreprise :

Moi je me vais musser, crainte d’être surprise,

Crainte qu’on me découvre arrivée en ce lieu,

Veuillez vous souvenir de la promesse, Adieu.

CÉRÈS.

Va, sûre de ma part : va, seule secourable,

Seule de piété aux âges mémorable ;

Mais Cérès, s’il est vrai que tes frères germains

Sur ton sang aient mis leurs parricides mains,

De sa pudicité conspiré le naufrage,

L’un protecteur et l’autre agresseur de l’outrage,

L’un traitre, celui-ci brigand audacieux.

Voilà bien gouverner le Ténare et les Cieux ;

Voilà de l’équité former un beau modèle,

Je t’atteste averti de ce tour infidèle,

Géniteur vénérable, hé ; n’auront les Enfers,

Des Mânes droituriers qui te tirent des fers ?

Afin de réprimer semblable violence,

Afin de châtier une telle insolence,

Afin que de là haut tu reprennes le frein,

Que tu purges le Ciel de luxure si plein.

Ha ! Monstre injurieux ; Tyran des pâles Ombres,

Tu m’as donc inventé ce Dédale d’encombres ?

Tu m’as doncques ravi celle en qui je vivais,

Celle en qui des Neveux l’espérance j’avais,

Impuissant d’exercer la douceur d’Hyménée,

Tu veux infortuné la rendre infortunée,

Mon bien plus précieux tu cuides posséder,

Encor de haute lutte, et sans le demander ?

Non, j’appelle du tort devant la Cour Céleste,

Le titre spécieux de lupin je proteste,

Ne m’empêchera pas d’intenter un procès,

Et faire tous les Dieux arbitres de l’excès.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

PLUTON, MERCURE

 

PLUTON.

Jupiter blesserait sa haute Procidence,

Convaincu d’un défaut de crainte ou d’imprudence,

Désormais contemptible aux Dieux et aux humains,

Si manquant de parole à l’un de ses Germains,

À moi qui reposai dessus sa foi donnée,

Circonstance qui soit trouble mon Hyménée,

S’il permet que des pleurs de Mère superflus,

Répètent de mon lit ce qui ne se doit plus,

Ne peut encore moins sa Proserpine nue,

De pucelle en mes bras femme ores devenue,

Moitié qu’on ne saurait séparer de son tout,

Conjointe d’un lien que Cloton ne dissout,

Impuissante chez nous de semence immortelle ;

Outre qu’en mon bon droit j’ai l’assurance telle,

Présume tant des miens offensé, que l’affront,

Que la troupe Olympique, et l’Univers en front

J’aurai de quoi répondre, et de quoi sur la place

Tourner en repentir leur téméraire audace,

Dedans un héritage installé m’en chasser ?

Vouloir de guet à pend mon repos traverser ?

Me paître comme enfant d’une offre ridicule ?

Me permettre l’appas qu’après on me recule ?

Non, non, je me perdrai mon Empire, et les miens,

D’âmes j’épuiserai les champs Élysiens,

Plutôt que consentir que l’Olympe me force

D’obéir aux rigueurs d’un injuste divorce,

Plutôt que relever de plus grand que de moi,

Qui cité devant lui il me fasse la foi,

Qu’exposer mon honneur au nombre des suffrages

Incertains comme ils sont différents de courages,

Retourne Fils de Maye, et leur dit rondement,

Que tu m’as trouvé sourd à un tel mandement.

MERCURE.

Faute d’examiner l’importance des choses,

Ce qui n’est du tout point, coléré tu supposes,

Nulle présomption de ce Concile saint,

Qui te connaît égal, qui t’honore, et te craint :

Nul envieux désir de rompre ton Noçage

N’entre dans le penser d’une troupe si sage ;

Au contraire elle veut la Mère contenter,

Sa fille te voyant légitime accepter,

Elle veut entre vous cimenter l’alliance,

Coulant sur le passé une entière oubliance,

Or qu’on ne se soumette au demeurant des Dieux,

Qu’ils descendent vers toi du Trône radieux,

Confesse qu’il n’y a non la moindre apparence

Qu’à leur pluralité se doit la préférence,

Confesse qu’un refus te donnerait le tort,

Justement indignés du superbe rapport.

PLUTON.

Ta langue bien souvent porte l’onde et la flamme,

Tranche des deux côtés, pernicieuse lame,

Je voudrai te pouvoir suivre, et croire assuré ;

Mais ne sais quel soupçon sur le cœur demeuré

Me détourne, m’augure une contraire issue

Aux factieux appas de leur volonté sue.

MERCURE.

Une fausse rumeur de quelques ennemis,

T’a mon los innocent en mauvaise odeur mis,

Accident familier aux vertus enviées,

Aux vertus du mensonge imposteur décriées ;

Mais que ta Majesté me puisse reprocher,

Alors qu’à son service il a fallu marcher,

Lâcheté, trahison, cautèle, ni malice,

En ce cas j’oserai défier ta Justice :

Je m’oserai sans tache à eux parangonner,

Desquels la blanche foi tu dusses couronner.

PLUTON.

Mercure, tu ne sais encor que je te garde.

MERCURE.

J’appréhende sans plus ma récompense tarde.

PLUTON.

Elle pend à ce coup, elle t’offre son fruit,

Du complot qui se brasse à mon dommage instruit.

MERCURE.

Menteur ne m’épargnez, Minos ou Rhadamanthe,

Ordonnent que l’Enfer mon parjure tourmente.

PLUTON.

Me conseillerais-tu de mener des esprits

Pour guide aventureux, et de la gloire épris ?

MERCURE.

Quiconque a de bouclier la bonne conscience,

Sur autrui n’a besoin de poser sa fiance.

PLUTON.

Bon droit a bon besoin d’aide souventefois.

MERCURE.

Tu as en ton pouvoir les luges et les Lois.

PLUTON.

Possible que suspect la fraude on t’a celée.

MERCURE.

Avec les trompeurs j’ai l’âme dissimulée,

Rarement, ou jamais d’embûche prévenu ;

Mais ici tout de feinte et de péril est nu.

PLUTON.

Allons, je te croirais.

MERCURE.

Proserpine reprise,

Absente frustrerait la peine qu’avons prise.

PLUTON.

Ne suis-je suffisant de répondre du fait ?

MERCURE.

Oui, mais l’accord sans elle est un œuvre imparfait.

PLUTON.

Comment ?

MERCURE.

Il faut du moins, que la Mère éplorée

Reçoive par sa bouche une preuve assurée,

Que tu lui as l’honneur d’Épouse conféré,

Vers elle faussement Ravisseur déféré,

Que la peur du refus, et qu’une flamme éprise

Contraignirent user de semblable surprise.

PLUTON.

Ce sexe féminin de nature inconstant,

Qui toujours imbécile à la vengeance tend,

Me pourrait démentir contre sa conscience,

Si que ma sûreté pend de la défiance,

Consiste à la tenir recluse en mon Manoir,

Pour éviter un mal que je ne voudrais voir.

MERCURE.

La fleur de sa beauté pudique dépouillée

Époint un aiguillon d’ire dissimulée,

Cicatrise l’ulcère envieilli de rancœur ;

Que sert d’injurier les fers de son vainqueur,

Les mordre forcené, lorsque le sort des armes

A changé des captifs l’allégresse en larmes ?

Tienne bon gré, mal gré elle demeurera :

Car qui l’honneur perdu que toi réparera ?

PLUTON.

Vaincu de tes raisons je leur quitte la lice,

Me dussé-je une fois sentir de ta malice :

Mais il ne faudrait plus se retrouvant ici,

Espérer de Pluton ne grâce ne merci,

Ascalape loyal, Ascalape accompagne,

Suivant Mercure et moi d’assez loin, ma Compagne.

MERCURE.

Je la conduirais bien s’il te vient à désir.

PLUTON.

Non, de ne t’en mêler tu me feras plaisir.

MERCURE.

Permets-moi donc au Ciel précéder ta venue,

Que je coure annoncer la réponse obtenue.

PLUTON.

Comme il passe de l’une à l’autre extrémité,

Va sans rien avancer outre la vérité.

MERCURE.

Ce n’est pas ma coutume : orsus que l’on me suive,

Et ne tenez la troupe un long siècle attentive.

PLUTON.

Marche-toi député, gardien de mon heur,

Démontre, si jamais, la naïve candeur

D’un zèle à ce besoin mêlé de vigilance ;

Où tu verrais les Dieux tendre à la violence,

À la porte attendant du Céleste pourpris,

Regagne vitement le Manoir des esprits,

Ramène-la de force au cas qu’elle résiste,

Qu’on se ruât sur nous de force à l’improviste.

ASCALAPE.

Père, je veux mourir une seconde mort

Avant que de ma dextre on l’arrache d’effort.

 

 

Scène II

 

CÉRÈS, JUPITER, THÉMIS, MERCURE, PALLAS, MOME, PLUTON, VÉNUS, PROSERPINE, ASCALAPE

 

CÉRÈS.

Sacré Chœur d’Immortels, vénérable Assemblée,

Ne présumez ouïr d’une Mère troublée,

D’une Mère qui n’est que d’ennuis et que deuil,

Qui mortelle eût enclos son malheur au cercueil :

N’attendez que ma bouche en complaintes féconde,

Délibère montrer un essai de faconde,

N’attendez que ma langue use de fiction

À tracer le portrait de son affliction,

Il ne m’est pas permis, la douleur qui s’exprime

Avec tant soit peu d’art, perd son nom légitime,

Déroge à sa naissance ; aussi du fait instruits

Vous ne m’extorquerez plus que ce que je puis :

Jupiter je te fais ma première requête,

En qualité de Juge et Monarque Céleste

L’outrage t’appartient, vengeur des innocents,

Comme celle pour qui tant d’angoisses je sens.

MOME.

Il est vrai de bien près, et n’y a Sœur qui tienne.

JUPITER.

Chasse-le-moi, Mercure, ou fais qu’il se contienne.

MERCURE.

Silence.

MOME.

Paix, qui sont ces causeurs indiscrets,

Incapables d’entrer en nos divins secrets ?

CÉRÈS.

Tu m’avais, de ta grâce, une fille donnée.

MOME.

Ô l’Oracle certain !

CÉRÈS.

Qui touche l’Hyménée,

Appui de mes vieux ans, leur unique soulas,

Qu’onques la Volupté n’avait pris en ses las.

MOME.

Merveille que sa Mère une fille ne suive,

Et qu’elle fût encor de Vénus apprentive.

CÉRÈS.

Absente néanmoins on me la va ravir,

Un Corsaire infernal ose se l’asservir,

Corsaire voirement, qu’à frère je renonce.

MOME.

Tu oublies qu’après le Barbare l’enfonce.

CÉRÈS.

Hélas ! me soufres-tu d’avantage outrager,

Et ce Moqueur mes maux devant toi rengrener ?

JUPITER.

Poursuis, ne t’aheurtant à un fol qui brocarde

Les Dieux également, de respect ne me garde,

Appris de le souffrir, de l’entendre draper,

Que voudrais-tu que fît un mâtin que japper ?

MOME.

Docte comparaison, ne s’en faut que la queue.

CÉRÈS.

Soit, que chacun ajoute à l’injure reçue.

MOME.

Hélas !

CÉRÈS.

Qu’aucun vers moi ne s’encline à pitié,

Ma plainte par mépris n’écoute qu’à moitié,

Célestes, en un mot, je vous requiers Justice,

Défenseurs de mon droit ne connivez au vice,

L’impunité sur vous redonderait un jour,

Tout confus et perdu d’un illicite amour,

Vos enfants exposés de journalière proie,

Que prudent de bonne heure au désordre on pourvoie,

Que le premier supplice au brigand imposé,

Du Sceptre de là-bas justement déposé,

Intimide tous ceux qui plus de votre bande

Voudraient s’émanciper à lâcheté si grande,

Ma fille au préalable avec moi retournant,

Plorer sa chasteté flétrie maintenant.

MOME.

Le Rustre y aura fait une terrible brèche,

Lui qui vit dans les feux, et qui n’est rien que mèche.

JUPITER.

Sa plainte référée à la Communauté,

Thémis use du droit acquis de primauté,

Vois comme à l’accident il faut qu’on remédie,

Car je lui suis suspect plus que la perfidie,

Et me porterai neutre au procès intenté,

À celle fin qu’aucun ne soit mécontenté.

THÉMIS.

Clément Saturnien pardonne à ta Germaine,

Qu’un regret maternel furieuse pourmeine,

Dérobe à la raison, et transporte de soi,

Telles douleurs n’ont point de borne ni de loi,

Assiste du conseil pris de ta Sapience,

Qui sais tout par ta longue et sage expérience ;

Aussi que la balance immobile je tiens,

Distribuant égal à un chacun le sien,

Par cet ordre gardé Cérès ne peut déçue

Attendre de bon droit une mauvaise issue,

Nous nous conformerons au vouloir du Destin

Pour dissoudre, ou tenir Cet Hymen clandestin,

Après que l’on aura entendu les parties

Disputer devant nous de leur droit averties.

CÉRÈS.

Ô remise inutile ! et que peut répliquer

Un méchant convaincu, ou quel doute expliquer ?

Jusqu’ici jouissant, saisi du brigandage,

Pallas ne suffit-elle à porter témoignage ?

Présente je la crois, informe-la du fait,

Et de son jugement se procède à l’effet,

Qu’on aille ce Tyran forcer à main armée

De me restituer ma Fille diffamée.

MOME.

Conclu qu’il soit tenu de te payer aussi

Les services tirés d’icelle jusqu’ici.

JUPITER.

L’accusé qui présent ne reçoit sa sentence,

Même un terme prescrit à décider l’instance,

Tempère ces bouillons d’impatience un peu,

Arriver de si loin plutôt il n’aurait peu.

Cours, Mercure, hâter sa venue, et proteste

De condamnation, si rétif il conteste.

MERCURE.

Père, il n’en sera pas, que je crois, grand besoin,

Le voici, je connais son allure de loin,

Pas guères assuré de geste et de visage.

MOME.

C’est doncques le galant qui a fait le dommage :

Ô le bel Amoureux, et de bonne façon !

Je lui voudrais prêter ma femme, et sans soupçon,

Plus noir que son Enfer une paupière épaisse,

Dont le poil hérissé comme d’un Ours se dresse,

Ses regards de travers feraient peur à la mort,

Que ce Gendre, Cérès, t’apporte un grand confort !

CÉRÈS.

Infâme, Scélérat, Monstre comblé de rage.

MOME.

Voilà bien commencé, Sus, sus, dedans, courage.

CÉRÈS.

Corsaire déloyal, malheureux effronté. 

MOME.

D’injures elle suit ma voix, ma volonté.

CÉRÈS.

Qui te meut d’entreprendre un acte au préjudice

De Nature, des Dieux, du sang, de la Justice ?

MOME.

Étourdi de ce choc, furieux de plein saut

Il met les armes bas, il se rend, autant vaut.

CÉRÈS.

Qui t’inspira l’audace en ta lâche poitrine,

Sinon de tes Enfers la plus coupable Erynne ?

Sinon la cruauté qui règne quant et toi,

Pour entrainer ma Fille en un lugubre effroi ?

Allègue sur l’injure une raison solvable,

Une cause de Rapt qui passe recevable ;

Parle, Monstre insensé, sous quel consentement

Osas-tu me priver de mon contentement ?

User de violence envers une Pucelle,

Et du titre d’Époux te prévaloir sur elle ?

Que la proximité du sang te défendait,

Qui ta Nièce, Voleur, d’un tige descendait :

Réponds, que tardes-tu, dépêche de la rendre,

Où je vais de ces mains à la gorge te prendre.

MOME.

Il tremble dans le ventre, et voudrait de bon cœur

Être encore à venir.

PLUTON.

Réfrène ta rancœur,

Écoute patiente en toi-même remise,

Qui me donna ta fille, et me l’avait promise,

Jupiter, les Destins conduits de l’équité,

Mon droit que j’ai du Ciel sous tel espoir quitté,

Que le degré du sang répugne à l’Hyménée,

À qui donc s’est Junon pour Épouse donnée ?

Tu te plains de n’avoir l’accord ratifié,

Mais qui de ton vouloir ne se fût défié,

Totalement contraire aux Noces proposées ?

Crois qu’on a sagement ces choses disposées

À ton grand avantage, et à ton grand honneur,

Car malgré les brocards d’un esprit blasonneur,

Mon Empire, hors mis la clarté défendue,

Les deux autres égale ou passe d’étendue :

Au regard des trésors, je les possède tous,

Qui donc pourrais-tu mieux lui assortir d’Époux ?

De quel plus sûr appui pourvoir à ta famille ?

Ou plus haut colloquer en Hymen une fille ?

Je m’offre d’abondant à la restituer,

Je veux de sa moitié ma couche dénuer

Au cas qu’elle se plaigne, ains qu’elle ne se loue

Du traitement reçu, et ma force n’avoue.

JUPITER.

Que te semble, ma Sœur, des raisons qu’il produit,

Une pure innocence au travers y reluit,

Thémis d’un clin de tête à peu près les approuve,

Moi, tant de quoi se plaindre en ton sort, je ne trouve,

Confirmons l’alliance immuable à toujours,

Qui te mette en repos, et bien-heure tes jours.

CÉRÈS.

Ô proposition de son auteur indigne !

Ô trahison brassée ! ô discordance insigne !

Ma fille demeurer esclave en son manoir,

Il ne me sera plus permis de la revoir ?

Ma fille trainera dans les nuits éternelles,

Sa vie entre les cris des ombres criminelles ?

Que l’eussé-je plutôt suffoquée au berceau,

Plutôt dedans mes flancs procuré son tombeau,

L’heureuse dignité de languir asservie

Sous l’ombre de régir ceux qui n’ont plus de vie.

MOME.

Elle dit vrai, les vifs valent mieux que les morts.

CÉRÈS.

N’attend pas Jupiter de l’outrage un remords

Du crime toléré, de l’injure soufferte :

Vois chez lui de Neveux l’espérance déserte,

Roi d’un Peuple stérile, et stérile de soi,

Dessus ce vol caché simple ne te déçois,

Que ma Fille paroisse, et que représentée,

L’offre lui soit de vous maintenant présentée,

J’accepterai son choix, elle nous réglera,

Et de l’Oracle après aucun n’appellera.

JUPITER.

L’ouverture me plaît d’un accord désirable,

Fais-la venir, Pluton.

PLUTON.

Pourvu qu’inexorable

À des pleurs féminins tu attendes la fin.

MOME.

Sait-il faire un marché, et jouer au plus fin ?

JUPITER.

Te suffise une fois ma parole donnée,

Qui emporte sa loi de pure destinée.

PLUTON.

Sans pareille assurance aussi je la tiens près

De tes commandements, elle attendait exprès,

Je m’en vais la querir.

CÉRÈS.

Las ! mon esprit ondoie

Dans les extrémités du deuil et de la joie,

Proche de te revoir objet de mes soucis :

Mais las ! comment les yeux de vergogne obscurcis ?

Mais des embrassements d’une infâme pollue,

Ta chasteté saoulant sa rage dissolue !

MOME.

Quel remède pourtant ? elle a passé le pas,

Mais non plus que sa Mère, elle n’en mourra pas.

CÉRÈS.

Ah douleur ! la voici, chère âme de mon âme,

Viens, que dessus ta fasse une heure je me pâme ;

Viens me ressusciter morte depuis le jour

Que ta perte je sus en ce triste séjour ;

Las ! on veut derechef de mes bras te distraire,

Pense à moi, mon Soleil, avant que de le faire,

Remémore l’amour que je t’ai témoigné,

Figure-toi l’horreur de ce Monde éloigné,

De cet hideux manoir de l’ensoufré Ténare,

Qui du sein maternel à jamais te sépare.

PLUTON.

Ne soufre, Jupiter, qu’elle aille corrompant

Sa fille, d’un appas ta Justice trompant :

Préviens du choix offert une fraude apparente,

L’affection vers nous ores indifférente.

JUPITER.

J’entends que cela soit, silence, écoutez-moi,

Du débat, Proserpine, on se remet à toi,

Une Mère te veut, un Mari te demande,

Et la nécessité de choisir te commande.

Avise, délibère, assemble ton Conseil,

Duquel nous dépendons en accident pareil.

PROSERPINE.

Confuse de merveille, et prise à l’impourvue,

À peine ayant loisir de r’assurer ma veuve,

Qu’une clarté trop vive à la fois éblouit

L’esprit qui de ses sens égaré ne jouit,

Plaise à ta Majesté de quelque peu de trêve

Prolonger l’option si douteuse et si griève,

Permets que le digère avec plus de loisir

Lequel de ces partis offres je dois choisir.

PLUTON.

Hésites-tu dessus une chose si claire ?

Mon amour éprouvé, mon sceptre tributaire,

Reine de mes désirs Reine d’un autre Ciel

Qui ja son peu d’amer te convertit en miel,

Sera de jour en jour plus doux par l’habitude ?

CÉRÈS.

Ma fille userais-tu de telle ingratitude

Envers qui t’a donné la lumière du jour ?

Qui t’aime uniquement d’un véritable amour ?

Vaudrais-tu préférer le voleur de ta gloire

À moi qui suis toi-même ? ha ! je ne le peux croire,

Je ne te lâcherai conjointe inséparable,

Me dût-on démembrer pièce à pièce mourable.

MOME.

Faites mieux, fendons la par le milieu du corps

Prenant chacun sa part pour finir ces discords.

Vos contradictions la troublent davantage,

Et partant désistez d’un importun langage,

Qu’elle donne pensé l’arrêt définitif :

Or ce voile levé scrupuleux et craintif,

Commence d’aviser, commence de me dire

À quelle élection ta volonté te tire.

PROSERPINE.

Hé Cieux ! ma volonté semble un vaisseau flottant

Qui penche ça et là sur Neptune inconstant,

L’honneur à un mari m’oblige, la nature

S’encline où je reçu l’être et la nourriture,

L’hyménée accompli me presse sous sa loi ;

La piété d’ailleurs se représente à moi.

Si je sui mon époux, j’abandonne ma mère,

Je lui cause cent morts en cette absence amère :

Règle-nous Jupiter, compose ce malheur

Départi s’il te plaît égale sa douleur.

JUPITER.

Thémis et toi Pallas venez, que consultées

S’apaisent au moins mal leurs plaintes écoutées,

Que la pure équité prononce un jugement

En ce qui se pourra commun d’allégement.

CÉRÈS.

Faites, tournez, brassez, et complotez ensemble

Au décis du procès tout ce que bon vous semble,

Ma fille malgré vous mienne demeurera,

Un brigand derechef ne me l’enlèvera,

Je vous récuserai Juges, d’incompétence,

Saturne en donnera la suprême sentence.

Consulter sur un point si facile à vider,

Sur ce que chacun doit son propre posséder ?

Ô la simplicité ! l’erreur, l’erreur insigne,

Du rang que vous tenez entre les Dieux indigne,

Y pensant je forcené, hé ! malheureuse, quoi ?

L’autrice du méchef ocieuse à requoi,

Plaisante cependant a ma fasse effrontée,

Publique qui me tient de ce doute agitée,

Que tes yeux impudents je n’arrache à ce coup ?

MOME.

Tu ferais du plaisir justicière à beaucoup,

Elle et son fils malin nous troublent à toute heure,

Charge s’il est besoin je t’aiderai, je meure.

CÉRÈS.

Exécrable moqueur, ma colère premier

Ira de tes brocards l’injure châtier.

MOME.

Oui qui se laisserait surprendre de l’orage

Mais j’ai trop aux talons d’adresse et de courage.

CÉRÈS.

Tu fuis.

MOME.

N’en doute pas, non toutefois si loin,

Que nous ne revenions quand il sera besoin.

CÉRÈS.

Ores je te demande à toi peste maudite,

Qui te permit l’abord d’une place interdite ?

Pourquoi de guet à pends l’innocente tu mis

Ès griffes d’un corsaire ? en ses lacs ennemis ?

Quel sujet t’anima d’outrageuse rancune ?

Quelle cause ? réponds, allègue m’en quelqu’une.

VÉNUS.

J’excuse la fureur d’un courroux maternel,

Qui rejette sur moi ce soupçon criminel,

Jupiter vous dira la vérité lui même.

CÉRÈS.

Jupiter connivant a la malice extrême

De ton fils et de toi s’acquiert un bel honneur

Qui dût de vos méfaits être le guerdoneur.

JUPITER.

Écoutez l’équité dessus votre querelle

Prononcer son arrêt, dont la substance est telle :

Au cas que Proserpine en l’Érèbe n’ait pas

Chez son nouvel Époux pris viande ni repas,

Nous disons qu’au vouloir de sa mère remise,

Pluton demeure absout de la force commise ;

Mais l’hymen accompli sous le moindre festin,

Confirme désormais le vouloir du destin,

Démontrant qu’elle a pris possession du sceptre,

Désunir sa moitié ne lui peut plus permettre.

MOME.

Par ainsi son escot elle paiera bien cher.

CÉRÈS.

Hé ! Cieux quelle formule allez vous la chercher ?

JUPITER.

Patience, tirons seulement de l’affaire

Dessus ce point douteux une preuve plus claire,

Regarde Proserpine à ne te parjurer,

Et la peine en après du parjure endurer,

Par le Styx je t’adjure à nous dire sans feinte

Si ta faim c’est là bas de quelque vivre éteinte ?

MERCURE.

Ma volonté suffit à ce défaut, j’ai fait

Tout ce que je pensais l’attirer à l’effet.

MOME.

Le cas va mal depuis qu’en la sorte on s’excuse.

JUPITER.

Passons outre, di tôt, et ne reste confuse.

PROSERPINE.

Las ! qu’aurais-je goûté au milieu des douleurs ?

Quels autres mets sinon les soupirs et les pleurs ?

CÉRÈS.

Ô déposition qui me redonne l’âme !

MOME.

Adieu pauvre Pluton, il n’y a plus de femme.

JUPITER.

Bref qu’aucune liqueur ne t’a repu depuis ?

PROSERPINE.

Non pas qu’il me souvienne.

ASCALAPE.

En l’office où je suis

Pardonne-moi si j’ose Érébique Princesse

Sortir la vérité de l’âme qui me presse,

Oculaire témoin celui même, celui

Qui t’offrit demi morte au fort de ton ennui

Pour rafraichissement plus que pour nourriture,

Une grenade alors dans unes mains d’aventure.

CÉRÈS.

Ô maudit imposteur !

PLUTON.

Ô fidèle témoin.

JUPITER.

De purger là dessus encore il est besoin,

Réplique, ou tu te fais au silence coupable.

PROSERPINE.

De trois grains savourez le sujet peu capable

Ne me condamnera, je le présume ainsi.

JUPITER.

Autant qu’un plein banquet de délices farci.

CÉRÈS.

Que sur l’occasion de semblable ineptie,

Ma fille au ravisseur malgré moi s’associe ?

Jamais, jamais, j’appelle à Saturne du tort ;

Au reste mon secours en l’Univers est mort,

Mes présents retirez cherchez qui le nourrisse,

Ô cruelle ! ô cruelle ! ô cruelle Justice !

JUPITER.

Ses sensibles douleurs dont je tire une part,

Veulent qu’on les tempère avant notre départ,

Venez que du moyen de rechef consultées,

Nous tâchions d’assoupir leurs haines excitées,

D’obvier au désordre, au péril menaçant

Du pauvre genre humain le commun innocent.

MOME.

Prends moi de conseiller, j’ai dedans la cervelle

Plus que deux filles n’ont d’invention nouvelle.

JUPITER.

Impudent si !

MOME.

Tout beau, un Juge doit avoir

« Tant moins de passion, qu’il obtient de pouvoir.

PLUTON.

L’affront me fait mourir, que pourtant je mérite,

Ma créance aux appas d’un déloyal séduite

De toi menteur qui m’as dans l’embûche attiré,

Présent je jouissais du bonheur désiré,

Jupiter me devait confirmer l’Hyménée

Maintenant au rebours sa justice traînée,

Apporte des longueurs qui ne me plaisent point,

Qui te nuiront un jour, et sois sûr de ce point.

MERCURE.

Punissable je m’offre à ta haine conçue,

Alors que tu verras ton attente déçue,

Accident impossible, écoutez, le Tonnant

Nous va de tout scrupule alléger maintenant.

JUPITER.

Afin de ne sembler à l’un et l’autre inique,

J’ai d’un tempérament pris le remède unique,

De façon que chacun se pourra réjouir,

Et du sien tour à tour entièrement jouir,

Proserpine six mois de sa mère compagne,

Six mois de son époux en la noire Campagne,

L’espace de ce temps au conseil avisé,

Lui concède un devoir entre vous divisé,

N’empêche que de fille et de femme l’office

Ne résulte de fruit de pareil bénéfice.

Jurez donc maintenant la paction de cœur,

Sans garder ci après de levain de rancœur ;

Car s’il est autrement, au premier infractaire

Mon courroux donnera le mérité salaire,

Il apprendra que vaut le profane mépris

De mes commandements, et de s’être mépris.

CÉRÈS.

Père des Immortels, leur arbitre suprême,

Ores ma volonté n’est que la tienne même,

L’ennui médiocré il faut le tolérer ;

Ains à ton bon plaisir le notre mesurer.

PLUTON.

Jamais une équité ne me trouva rebelle

Protestant d’observer l’ordonnance éternelle.

PROSERPINE.

La chose réussie au plus près de mes vœux

Accomplir de ma part immuable je veux.

VÉNUS.

Mon âme d’allégresse en tressaute comblée.

MOME.

Aussi ne pouvais-tu de la fête troublée

Espérer que des coups ; Jupiter au surplus,

À ce qu’au règlement il ne manque rien plus,

Ordonne que le jour Cérès aura sa fille,

Pluton par chaque nuit.

JUPITER.

La rencontre est gentille,

Mais avant que partir, en faveur de l’époux,

Au banquet préparé je vous invite tous.

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